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bien d’ailleurs vous y forcer. — Sire, potius mori. — Ah ! ah ! potins mori, plutôt Maury… Eh bien ! soit, vous l’aurez, Maury[1]. »

Quoi qu’il en soit de cette anecdote, qui dans le moment rencontra partout créance et n’a jamais depuis été démentie, la vérité est que le choix soudain dont il venait d’être l’objet commença par troubler tant soit peu le cardinal Maury, dont l’assurance était pourtant si grande. On l’avait vu sortir pâle et troublé de son entrevue avec l’empereur. Il n’avait pas tardé toutefois à reprendre possession de ses esprits. Oubliant qu’il était déjà évêque consacré de Montefîascone et de Corveto, qui étaient des pays d’obédience, mettant sous ses pieds ce qu’il devait au saint-père, à lui-même, aux antécédens historiques qui avaient fait toute sa réputation et toute sa gloire, il fit étalage de sa joie devant la cour et se montra très fier d’avoir été appelé à une situation devant laquelle avait reculé la conscience de l’oncle même de l’empereur. Nous nous rappelons avoir entendu raconter à M. Pasquier, récemment nommé préfet de police à cette époque, que, se croisant avec le cardinal Maury dans les corridors de Fontainebleau, il ne fut pas médiocrement surpris de voir le nouvel archevêque de Paris accourir à lui et s’écrier d’un ton familier et avec l’air le plus satisfait du monde : « Eh bien ! l’empereur vient de satisfaire aux deux plus grands besoins de sa capitale. Avec une bonne police et un bon clergé, il peut toujours être sûr de la tranquillité publique, car un archevêque, c’est aussi un préfet de police. » Un tel rapprochement était à coup sûr assez malséant dans la bouche du prêtre qui avait si éloquemment défendu le clergé devant l’assemblée constituante, et personne n’était plus disposé à en ressentir l’inconvenance que le fonctionnaire de l’empire à qui s’adressait en ce moment le cardinal Maury. M. Pasquier, conseiller d’état depuis quelques mois, avait en effet assez longtemps hésité avant d’accepter le poste qui venait de lui être confié. Il n’avait consenti à s’en charger que sur l’assurance plusieurs fois donnée par l’empereur qu’il entendait laisser sous la direction exclusive du duc de Rovigo, récemment nommé lui-même à la place de Fouché, ce qui, dans ses nouvelles fonctions, regardait particulièrement la politique, et qu’il se proposait de rétablir la préfecture de police de Paris sur le pied d’une magistrature civile telle qu’elle existait au temps des Sartines et des Lenoir. Chose étrange, c’était un grand dignitaire de l’église qui revendiquait à titre d’honneur les attributions que venait de décliner un laïque, descendant, il est vrai, de ces grandes familles de magistrats qui avaient jadis fait l’honneur

  1. Vie du cardinal Fesch, par l’abbé Lyonnet, t. II, p. 174.