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d’entrer en quelques détails qui n’étaient pas tous à l’avantage du régime qu’ils servaient cependant avec tant de zèle. Il leur avait fallu expliquer à Pie VII que les époux devenaient très rares en France à cause de la grande consommation d’hommes qui mouraient sur les champs de bataille, et parce que la crainte chaque jour plus grande de la conscription avait pour effet de déterminer précipitamment les choix en faveur de quelques paren3, et cela pour deux raisons : 1° parce qu’on évitait ainsi le partage des biens, et 2° parce qu’une sorte de défiance portait à préférer quelqu’un de la famille dont l’opinion était connue à des étrangers dont on redoutait l’admission dans l’intérieur du foyer domestique[1].

Aussi longtemps que l’action du pape s’était bornée à permettre aux cousins de se marier avec leurs cousines, et à de jeunes neveux, comme cela se pratiquait souvent sous l’empire, d’épouser leurs vieilles tantes, dont ils devaient plus tard hériter, l’empereur n’y avait rien trouvé à redire ; mais que le souverain pontife se mêlât de diriger la conscience des prélats français, qu’il osât, par exemple, prendre sur lui d’avertir l’évêque de Nancy qu’il ne lui était pas loisible de quitter sans l’assentiment du saint-siège son troupeau lorrain pour aller gouverner un diocèse italien dont il ne parlait pas la langue, ou de rappeler au cardinal Maury que, nommé au siège épiscopal de Corneto et de Montefiascone, il n’avait pas le droit de s’installer dans la chaire de Notre-Dame de Paris avant d’y avoir été autorisé par le chef de la catholicité, c’étaient là autant d’abus abominables que Napoléon était d’avance décidé à ne point tolérer de la part du prisonnier de Savone. Pie VII, pensait-il, ne s’y risquerait pas, et d’ailleurs, à supposer qu’il le voulût, comment s’y prendrait-il ? Aucune précaution n’avait été négligée. On l’avait entouré d’hommes intelligens et sûrs, qui avaient sous leurs ordres en quantité surabondante des agens de police parfaitement dressés à leur métier. Ce n’était pas pour rien que l’empereur avait imposé au pape l’obligation de ne donner ses audiences qu’en présence du général César Berthier ou du commandant de gendarmerie La Gorse ; ce n’était pas en vain qu’il avait recommandé au préfet de Montenotte d’avoir des espions dans toutes les auberges, et de surveiller soigneusement tous les individus suspects qui passeraient à Savone. Les exemples faits sur quelques misérables prêtres de Marseille et d’ailleurs, jetés dans d’infects cachots pour avoir seulement essayé de s’approcher sans permission du pape, avaient dû suffire à intimider les plus hardis[2]. Napoléon ne craignait donc

  1. Lettres des cardinaux et évêques à sa sainteté Pie VII. Fragmens ecclésiastiques, p. 82.
  2. Voir les Mémoires du cardinal Pacca et la Correspondance de M. de Barral conservée à l’archevêché de Tours.