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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/674

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I

Avec leur habitude traditionnelle de courir le monde deux à deux, les barbes de la région du Viso ne furent pas longtemps à ignorer la révolution religieuse qui se préparait au dehors. Aux premiers retentissemens de la protestation allemande, ils sortent de leur retraite, et vont à la recherche de ces écrits nouveaux que la papauté maudissait avec tant de fracas. L’un d’eux, le barbe Martin Gonin, au retour de l’un de ces voyages, est reconnu à Grenoble aux écrits qu’il portait cousus sous la doublure de son habit, il est condamné à mort et noyé dans l’Isère avec ses livres et une pierre au cou ; mais d’autres peuvent passer et rapporter aux montagnes ces livres précieux, qui sont lus avidement par les docteurs de la secte. En plusieurs points, les doctrines nouvelles sont conformes aux leurs : elles restituent au peuple chrétien le droit imprescriptible de lire la Bible en langue vulgaire ; elles la proclament première autorité de l’église, supérieure à la tradition, juge souverain des controverses, règle et canon de la foi ; elles donnent gloire au nom du Christ, seul sauveur, médiateur unique de la nouvelle alliance, et suppriment tous les autres modes de salut et de médiation ; enfin, — trait de ressemblance plus séduisant encore, — elles déclarent une guerre à mort à l’éternel oppresseur des consciences. Sur d’autres points toutefois, les affirmations théologiques des nouveau-venus paraissent étranges aux anciens sectaires, et l’esprit vaudois est violemment froissé des idées absolues de Luther et de Calvin sur le libre arbitre et la prédestination. Réjouis d’un côté en apprenant les grandes choses qui s’accomplissent en Allemagne, troublés de l’autre par ces idées qui leur semblent détruire la liberté humaine, les barbes dans leur perplexité prennent le parti d’entrer en relation avec les réformateurs allemands, et écrivent à celui qui leur paraît le plus rapproché par la distance et les doctrines, à Ecolampade de Bâle, une longue lettre dans laquelle se découvrent naïvement au regard l’ancien valdisme, ce qu’il croit et ce qu’il’ est, sa foi, son organisation et ses mœurs.

On connaît déjà cette curieuse association du preverage ; mais c’est pour la première fois que tous les rouages secrets en apparaissent dans un document authentique, et sont décrits par un de ses membres, le barbe George Morel, qui révèle ce qui n’a pu être que soupçonné jusqu’ici. Au moment où cette lettre fut écrite, en 1530, le preverage vaudois se recrute toujours dans le séminaire mystérieux dont nous avons déjà parlé. Les élèves qui désirent y entrer présentent leur demande aux barbes assemblés, fléchissent le genou devant eux, et prient Dieu d’être rendus dignes d’un si grand