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A l’époque où le valdisme entre en rapport avec la réformation, il forme une église invisible, souterraine, qui mine le sol sous les pieds de l’église romaine sur une étendue de pays que le correspondant déclare être de quatre-vingts milles des deux côtés des Alpes, embrassant, d’après un autre témoignage qui nous inspire moins de confiance, d’après Perrin[1], 800,000 adhérens répandus sur toute la région dont le Viso est le point culminant. La foi vaudoise s’y dissimule sous des conformités réelles ou apparentes avec la foi officielle, et les mouvemens du preverage y sont secrets partout, excepté dans les vallées les plus rapprochées de la chaîne centrale, où le clergé catholique n’ose pas s’aventurer. Ce fut en 1517 qu’un prince de l’église, Claude de Seyssel, archevêque de Turin, mit les pieds pour la première fois dans les hautes vallées du versant italien, et il se loue fort de son courage dans un écrit qui parut trois ans après cette visite pastorale[2]. « Plein de foi et d’espérance, dit-il, nous sommes parti sous la protection de Dieu pour ces retraites où jamais nos prédécesseurs n’avaient abordé. » Le caractère occulte de la secte donnait lieu nécessairement à de nombreux compromis, à des dissimulations indignes d’une conscience droite, que la crainte des persécutions faisait néanmoins tolérer par les barbes. Ainsi, quand le vaudois craignait d’être découvert, il allait à la messe, quoique, d’après le correspondant d’Ecolampade, il la tînt devant Dieu pour une abomination ineffable, pro nefanda abominatione coram Deo. Il recevait même les sacremens de la main de celui que George Morel appelle dans sa haine « le membre de l’antechrist. » Pour mettre à l’aise sa conscience, il murmurait entre ses dents chaque fois qu’il entrait dans une église la parole de colère : « Dieu te confonde, caverne de brigands ! » Le barbe dans la réunion occulte prêtait au sacrement ainsi reçu un sens caché qui lui ôtait sa signification d’adhésion à l’église officielle. « Nous donnons aux sacremens, dit Morel dans sa lettre, un sens spirituel, afin qu’on ne se confie en aucune manière aux cérémonies de l’antechrist, et qu’on prie au contraire pour qu’elles ne soient point imputées à péché à ceux qui sont forcés d’y assister. » Ce sens caché, c’est que, le sacrement étant le signe visible d’une grâce invisible, peu importe le signe matériel, pourvu que l’on possède la chose signifiée. Cette doctrine ruinait par la base le système orthodoxe, qui attache le salut à l’acte extérieur. Dès lors il devenait indifférent pour un vaudois d’y prendre part quand il s’agissait d’éviter la persécution.

Nous voyons en outre par cette lettre que l’état de la secte est

  1. Histoire des Albigeois et des Vaudois ; Genève, 1618.
  2. Claud. Seysselli advenus sectam valdensium disputationes ; Paris, 1520.