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dans tous les cas de l’entente qui s’était rétablie entre Vienne, Saint-Pétersbourg et Berlin. M. de Bismarck ne s’était jamais séparé de la Russie, et avait toujours prêché la nécessité pour les trois cours du nord de se réunir entre elles contre « l’ennemi commun, la révolution[1]. » Il avait profité de l’effroi causé à la Burg par la proposition du congrès pour enchaîner à sa politique le cabinet de Vienne : un traité secret conclu au mois de février 1864 entre le général Manteuffel et M. de Rechberg assurait à l’empereur François-Joseph l’assistance de sa majesté le roi de Prusse dans l’éventualité d’une attaque en Vénétie[2], en même temps que la proclamation de l’état de siège en Galicie (27 février), qui coupa court à l’insurrection polonaise, réconciliait définitivement l’Autriche avec la Russie. Pour prix de tant de services rendus, le prince Gortchakof demeura impassible devant le démembrement du Danemark. Tout cela parut avec la dernière évidence dès les débuts des conférences de Londres, au mois de mai ; pendant le mois de juin (du 9 jusqu’au 23) eurent lieu des entrevues très significatives entre le tsar Alexandre II, l’empereur François-Joseph et le roi Guillaume Ier, successivement à Berlin, à Kissingen, à Carlsbad, et M. de Gerlach, l’oracle du parti de la Croix, parlait avec un ravissement religieux « de la grande trinité politique fondée en 1815, sous l’invocation de la trinité chrétienne et sur les ruines de ce paganisme moderne qu’on nomme la révolution. » Il y avait là une velléité manifeste de coalition, un essai timide de reconstruire la sainte-alliance, et le gouvernement français était sur le point de perdre tout le fruit d’un travail long et laborieux, de ce travail qui, à travers la guerre de Crimée, la campagne de 1859 et tant de combinaisons tour à tour abandonnées et reprises, avait toujours cherché à dissoudre les liens entre les trois puissances du nord.

Telle était la situation dans l’été de 1864, et l’on comprend dès lors comment M. Drouyn de Lhuys a pu reprendre à cette époque avec le marquis Pepoli la conversation qu’il avait si brusquement interrompue avec le général Durando dans l’automne de 1862. La politique de conciliation, d’apaisement et de conservation avait sombré depuis longtemps ; elle s’en était allée avec les neiges d’antan et les neiges ensanglantées de la Pologne. Il fallait désormais

  1. Il la prêchait encore en 1865. Une note célèbre de M. de Bismarck au baron Werther, du 26 janvier 1866, fait un retour mélancolique sur les journées de Gastein et de Salzbourg (en 1865) « alors que sa majesté l’empereur d’Autriche et ses ministres voyaient aussi clair que nous sur l’ennemi commun, la révolution, et que nous pensions être d’accord sur la nécessité de la combattre et sur le plan de la lutte contre elle. »
  2. Dépêche de sir A. Buchanan au comte Russell, du 12 mars 1864.