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le domaine propre de chacune d’elles, et quand on vit clairement l’objet dont chacune avait à s’occuper, on put appliquer à l’étude de la branche de connaissances ainsi circonscrite une méthode précise et les procédés les mieux appropriés. Ainsi la nature entière, physique ou morale, fut comme un vaste territoire dont chaque parcelle fut explorée et cultivée par les hommes les plus capables avec les meilleurs instrumens. Aujourd’hui, quand un chimiste étudie les phénomènes de la vie, il sait qu’en cela il n’est plus chimiste, ou il se trouve là un physiologiste pour l’en avertir. Celui qui recherche au moyen du spectre la composition chimique du soleil sait ce qui dans cette étude appartient à l’astronomie, à la physique ou à la chimie, et il ne confond ni les sciences ni les faits. Il en est de même du moraliste, du psychologue et du métaphysicien, dont les études peuvent toucher à toutes les parties de la vie individuelle ou sociale ainsi qu’à beaucoup de sciences et n’en ont pas moins leurs domaines et leurs objets parfaitement définis. Il est donc évident que l’analyse domine tout le travail de la société moderne, et que nous sommes dans une seconde période de science. La précédente a été la période hellénique, qui de Solon à Justinien n’a pas duré moins de mille ans, celle où nous sommes compte à peine jusqu’à ce jour quatre cents ans de durée; mais comme aux procédés analytiques des anciens et à leurs moyens d’investigation nous en avons ajouté de nouveaux, il nous a été permis de marcher plus rapidement qu’eux ou tout au moins de nous avancer dans la science plus loin qu’ils ne l’avaient fait.

Que le lecteur veuille bien le remarquer, c’est ici que se manifeste de la façon la plus éclatante cette puissance d’analyse qui est le caractère propre de notre race. La Chine est arrêtée depuis plusieurs milliers d’années et n’a pu faire un pas nouveau, même après avoir reçu le bouddhisme. Les Sémites ont traduit et porté d’Orient en Occident une petite portion de la science indienne et hellénique, ils n’y ont rien ajouté. Les Indiens au contraire n’ont pas cessé d’apprendre, et depuis que le gouvernement anglais a établi chez eux un système régulier d’enseignement, brahmanes et pârsis courent aux écoles, s’initient à nos sciences, renoncent à leurs institutions surannées, viennent chez nous, et ne tarderont point à être semblables à nous[1]. J’entends dire que beaucoup d’entre eux attendent l’ouverture du canal de Suez pour venir en Europe étudier nos sciences et les applications qu’elles ont reçues.

Cette seconde période de science où nous sommes doit son ori-

  1. Il y a en ce moment à Londres six jeunes brahmanes et un pârsi; il y a un pârsi à l’École forestière de Nancy. C’est là un fait considérable, puisque tout Arya qui sort de l’Inde perd sa caste et risque de n’être plus accueilli parmi ses coreligionnaires.