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le moins matériel en quelque sorte, est la vue, et pourtant il ne faut point oublier que le regard lui-même n’est qu’un contact éthéré, c’est l’excitation produite par un rayon lumineux sur l’appareil nerveux logé au fond de l’orbite oculaire. Les étoiles n’existeraient point pour nous, si un lien ne s’établissait entre elles et le nerf optique, lien, il est vrai, d’une ténuité extraordinaire et d’une impondérable légèreté, mais néanmoins physique, d’une direction déterminée et tracée d’après les règles les plus précises. Les mouvemens vibratoires qui ont pour centre les foyers lumineux ne deviennent véritablement lumière qu’en frappant l’organe de la vision; mais cette lumière affranchit pour ainsi dire notre corps des servitudes de l’étendue. L’œil est une prison hors de laquelle l’esprit s’élance pour plonger dans l’espace infini : la vue est donc le sens idéal par excellence, s’il est permis d’accoupler ces deux mots. Comme un phare qui tourne son cône de lumière sur tous les points d’un sombre horizon, la vue s’infléchit en tous sens; elle interroge tout l’univers, elle saute sans effort des objets les plus rapprochés aux plus lointains, elle distingue les contours, les couleurs, les distances, elle sonde incessamment l’espace.

Je ne parle point des services vulgaires qu’elle nous rend chaque jour, et auxquels nous sommes si accoutumés que nous n’en sentons plus l’importance ni la miraculeuse adaptation à tous nos besoins. Je ne veux envisager l’œil que comme un instrument de la connaissance, comme un appareil placé entre le cerveau et le monde extérieur. Quelle est la valeur de cet organe comme instrument d’optique en premier lieu, et en second lieu comme instrument physiologique, c’est-à-dire comme récepteur d’impressions ? Cette question paraîtra singulière à ceux qui, habitués à tout considérer au point de vue des causes finales, se persuadent que l’œil humain est tout simplement parfait, qu’on ne saurait rien imaginer qui soit mieux approprié à la vision du monde externe, et qui puisse fournir à l’entendement une vue plus pure et plus vraie de toutes choses. Il faut rabattre un peu de cet enthousiasme quand on étudie la structure de l’œil humain dans les savans traités de la physique, de la physiologie et de l’oculistique modernes. L’esprit imagine aisément quelque chose qui ait mêmes qualités sans avoir mêmes défauts. Ce qui ressort d’une étude de l’œil entreprise au point de vue critique n’a pourtant rien de trop humiliant pour l’homme; s’il faut confesser que l’organe est loin d’être parfait, il faut avouer que l’emploi que nous en faisons est surprenant. C’est chose merveilleuse, et bien autrement merveilleuse qu’un simple agencement de nerfs et de muscles, de voir avec quelle promptitude, quelle finesse, quelle sécurité, l’intelligence humaine élabore les impressions que lui ap-