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portent les sens et comment, en dépit de mille difficultés que nous allons exposer, elle arrive à se rendre maîtresse de l’espace, à distinguer les formes variées à l’infini, à avoir une perception nette et claire de toutes choses, à porter enfin ses jugemens avec la promptitude d’un instinct. Les sens sont vraiment nos serviteurs, et nous les forçons à travailler pour tous nos usages. Le nouveau-né roule son œil encore sans regard sur le monde, tandis que ses mains tendres et hésitantes s’emparent de tout, veulent tout saisir. L’éducation des sens commence là, au berceau : bientôt ces mains, ces yeux, auront tout conquis; mais avec l’aide et au profit de qui? De l’esprit.

La critique des sens ne ravale donc les organes que pour mieux faire ressortir l’indépendance et les ressources admirables de l’esprit, de cette force secrète qui reçoit les impressions, qui les interprète, les élabore, et les plie aux fins qu’elle se propose. Il importe peu qu’un son se remplisse d’harmoniques et fasse vibrer plusieurs fibres nerveuses au fond de l’oreille; si nous voulons que la sensation soit une, elle reste une, en dépit de la multiplicité des impressions. La sensation, sans aucun doute, est toujours en correspondance exacte avec l’impression; mais elle ne l’est pas autrement que le mot écrit avec la chose qu’il représente. Un mot a toujours le même sens pour notre pensée, quelle que soit la forme ou la grandeur des caractères d’imprimerie : ainsi l’œil reconnaît un arbre ou un cheval à toute distance, dans toute lumière, et si différentes que soient par conséquent les impressions matérielles produites sur la rétine.

Pour analyser complètement le phénomène de la vision, il faut étudier d’abord l’œil comme simple instrument d’optique, puis comme appareil de la sensibilité et récepteur d’impressions; nous serons conduits ainsi, et ce dernier point intéresse tous les philosophes, à rechercher quelles données ces impressions fournissent pour la connaissance du monde interne, et à en apprécier la valeur, la précision et la constance. Ici, comme pour l’acoustique, on ne saurait prendre-de meilleur guide que M. Helmholtz. Son Optique physiologique est un des plus beaux monumens de la science moderne. La lecture de ce grand ouvrage ne peut être entreprise que par ceux qui sont familiers avec les sciences mathématiques. Nous ne pouvons ici en extraire que les aperçus les plus généraux et les plus neufs, et nous nous arrêterons surtout aux phénomènes qui sont pour ainsi dire sur le seuil commun de la physiologie et de la psychologie, et qui à ce titre intéressent autant les philosophes que les savans.