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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/726

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complémentaires lorsqu’en se mêlant elles recomposent le blanc solaire). Pourquoi cet effet se produit-il? Parce que la rétine se fatigue très aisément. Si elle regarde du vert, elle devient rapidement moins sensible aux rayons verts, tout en conservant sa sensibilité pour les rayons rouges : elle se mettra donc à voir rouge spontanément. De même, quand l’œil a fixé du rouge, il se met à voir vert. Une personne qui ignore ces lois et à qui on montrerait le même dessin gris sur huit fonds différens, voyant huit dessins couverts de huit auréoles complémentaires, les jugerait réellement différens; mais il suffit de couvrir les fonds de couleur avec une découpure de papier blanc pour que tous les dessins apparaissent identiques au premier.

Chaque couleur s’environne donc de sa couleur complémentaire; de là naissent des contrastes simultanés de tous genres, d’autant plus frappans que les tons juxtaposés ont moins d’élémens communs. Les grands coloristes, Rubens, Rembrandt, les Vénitiens, accusent hardiment ces contrastes à coups de pinceau, les forcent et les rendent directement visibles. Les objets n’ont donc pas, même quand la source de lumière demeure invariable, une couleur absolue : ils empruntent toujours quelque chose à ce qui les entoure, ils subissent l’influence du milieu. Le système nerveux n’est pas un miroir immuable, où les images demeurent constantes. Couvrez la moitié supérieure d’une feuille de papier blanc d’une feuille noire, et regardez avec fixité un point de la moitié blanche voisine de la ligne de séparation; enlevez au bout de quelques secondes la feuille noire : la feuille blanche reste devant vous, mais la moitié supérieure seule vous semblera telle, et le papier paraîtra composé de deux morceaux, l’un brillant, l’autre terne, parce que la partie de la rétine où se peint la moitié inférieure est déjà presque paralysée par un effort de quelques instans. Toutes les fois qu’on regarde fixement un dessin d’une couleur, on aperçoit, si l’on porte rapidement les yeux vers un fond blanc, la contre-partie de ce dessin dans la couleur complémentaire. On apprend ainsi aux enfans à voir des spectres qui n’ont rien de redoutable et qu’ils peuvent créer à volonté. Nous vivons entourés de ces spectres mobiles, si vagues d’ordinaire que nous n’avons pas conscience de les voir, fugitifs et presque insaisissables à cause de la perpétuelle mobilité de nos yeux, qui remuent toujours instinctivement pour ne jamais se fatiguer.

La sensibilité n’est pas d’ailleurs la même en tous les points de la rétine, et elle n’est point partout égale pour toutes les couleurs. J’ai déjà eu occasion de faire remarquer que le point jaune de l’œil perd sa sensibilité dans une lumière très amoindrie. Dans les ré-