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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/751

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que l’usage commun du large estuaire de la Plata établit entre eux une solidarité naturelle. Ni le Pérou ni le Chili n’ont dissimulé le mécontentement que leur causait la neutralité conservée vis-à-vis de l’Espagne par les alliés de la Plata, et ce mécontentement les a engagés à se montrer les chauds partisans du président Lopez. Leur intervention, il est vrai, s’est bornée à des paroles, et même le nouveau gouvernement installé à Lima, revenant sur la politique de celui qu’il a renversé, accuse l’intention de demeurer en bonne intelligence avec l’empire brésilien, son voisin, qui partage avec lui la possession du bassin de l’Amazone. Le Chili semblerait avoir conservé plus de rancune. S’il n’a pu porter secours au président du Paraguay, dont il est séparé par de vastes territoires, il n’aurait pas été fâché de punir la confédération argentine. A en croire du moins les affirmations du cabinet argentin, le gouvernement chilien aurait mis peu d’empressement à priver les insurgés armés contre le gouvernement de Buenos-Ayres de l’appui qu’ils pouvaient trouver sur les frontières chiliennes.

Une effroyable catastrophe vient de rappeler brusquement l’attention et la sympathie de l’Europe sur ces rivages du Pacifique, déjà éprouvés par une longue lutte contre l’étranger. Au Pérou, dans l’Equateur, des cités hier encore peuplées et florissantes ne sont plus qu’un amas de ruines. Les victimes se comptent par milliers, les pertes matérielles sont incalculables. Contre un si terrible cataclysme, la prévoyance humaine ne pouvait rien; c’est là du moins pour les républiques alliées l’occasion de montrer la même constance, la même énergie, qu’elles ont déployées durant la guerre. Celles d’entre elles qui n’ont pas souffert n’oublieront pas qu’il s’est établi entre elles et leurs malheureux voisins une solidarité qui leur impose leur part de sacrifices dans un aussi grand désastre. Jamais circonstance plus urgente ne se présentera pour prouver que l’union entre les états sud-américains n’est plus une vaine théorie, et que ceux qui l’ont pratiquée n’hésitent pas plus à en accepter les charges qu’à en rechercher les bénéfices.

Si la guerre du Pacifique paraît avoir exercé une influence considérable sur les affaires du continent sud-américain, elle n’est peut-être pas non plus sans avoir eu des conséquences sur la situation intérieure de l’Espagne. Qui dit que le ressentiment d’avoir vu dépenser en pure perte le courage des marins espagnols et l’argent du pays n’entre pas pour une part considérable dans l’insurrection qui vient de naître, et à laquelle la flotte entière paraît prêter un concours énergique ?


P. DE CHAMBARLHAC.