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ce qu’on peut pour entretenir cet état maladif, pour laisser l’opinion à ses incertitudes et à ses défiances. On traite quelquefois bien étrangement et assez gauchement ce grand malade qui s’appelle le public et qui ne demanderait cependant pas mieux que de se bien porter. On n’arrive à rien qu’à créer une demi-confiance d’un jour, et il en faut chercher la cause bien au-dessus des manœuvres vulgaires des partis. Cette cause, elle est dans l’indécision d’une politique qui ne se connaît pas elle-même ou qui ne s’avoue pas, et mieux encore dans la confusion des politiques, dans les contradictions qui se succèdent ; elle est surtout dans l’essence d’un système dont on ne sait jamais au juste le secret, qui échappe à tout contrôle, et dont les procédés inattendus sont tels parfois qu’il sème involontairement de nouvelles alarmes au moment même où l’on se propose de tranquilliser l’esprit public. Rien ne peut mieux mettre en relief ce qu’il y a d’indéfinissable, de bizarre et même de dangereux dans le système actuel que cette note ministérielle publiée il y a quelques jours à la suite du discours du roi de Prusse à Kiel. C’est là une de nos dernières émotions d’un jour. Assurément nous ne mettons point en doute les bonnes intentions qui avaient inspiré cette note ; en vérité cependant quel titre avaient M. le ministre de l’intérieur et M. le ministre des finances pour se prononcer sur nos relations extérieures, et M. le ministre des affaires étrangères lui-même sait-il toujours le dernier mot de la politique dont il est le porte-parole officiel ? Mais ils sont très inconstitutionnels, nos ministres ! ils oublient qu’ils n’ont le droit de se mêler que des affaires de leurs départements respectifs, qu’ils ne forment pas un ministère représentant une politique, que leur parole est dénuée d’autorité, parce qu’elle est dépourvue de responsabilité devant l’opinion. Quoi donc ! le roi de Prusse croit devoir, lui aussi, rassurer ses nouveaux sujets de Kiel, et comme garantie de paix, en conquérant satisfait, il leur montre ses flottes, ses belliqueuses armées toujours prêtes à accepter toutes les luttes ; aussitôt voilà trois incompétences qui se réunissent à Paris, loin de l’empereur, pour interpréter la pensée d’un souverain étranger, pour traduire à l’usage de la bourse le discours de Kiel, et, par une bizarrerie de plus, le nom de M. le ministre d’état manque à ce rassurant témoignage des bonnes, des pacifiques intentions du roi Guillaume. Certes M. le ministre de l’intérieur et M. le ministre des finances sont de solides cautions, et le roi Guillaume s’est empressé depuis de faire honneur à leur interprétation ; mais encore une fois de quel droit M. Pinard et M. Magne pouvaient-il bien parler pour le roi de Prusse, et, puisqu’ils ne pouvaient même comme ministres parler de notre politique extérieure, quel besoin les pressait de confier à la bourse leur impression personnelle sur le discours de Kiel ? Il leur était si facile de ne rien dire, et d’éviter un pas de clerc qui a eu pour le coup un succès d’étonnement et de sourire auquel ne s’attendaient pas vraisemblablement ceux qui ont