Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/770

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rêtent de station en station leurs vastes corbeilles fleuries, dont les arômes parfument au loin les deux rives. La renaissance fournit à l’auteur des Jardins une ample moisson de faits. Les jardins botaniques du XVIe siècle, les villas italiennes qui semblent renaître des débris de celles qu’avait construites l’ancienne Rome, enfin l’apparition, dans l’histoire horticole, de l’homme dont le nom remplit toute la période qui s’étend depuis le milieu du XVIIe siècle jusqu’au milieu du XVIIIe, tels sont les élémens de l’une des plus intéressantes parties de l’ouvrage de M. A. Mangin. Le Nôtre ne fut point, comme on le croit communément, le créateur d’un genre nouveau, mais il sut s’inspirer du passé sans étroitesse d’esprit et sans plagiat. Il n’employa guère que les élémens du genre classique, c’est-à-dire celui du siècle d’Auguste et de la renaissance; mais il sut donner à l’emploi qu’il en fit des proportions si imposantes, qu’il imprima à tous ses jardins un incomparable caractère monumental. Le genre systématisé par Le Nôtre fit bientôt le tour de l’Europe. Lui-même avait planté des jardins en Italie et en Angleterre; il fournit de plus des dessins à l’Allemagne, à la Suède et à l’Espagne, si bien que le voyageur qui eût parcouru l’Europe centrale au commencement du XVIIIe siècle eût partout retrouvé ces fameux jardins symétriques sans lesquels un roi ne se fût pas cru à la hauteur de la civilisation. L’Angleterre elle-même, qui devait bientôt donner l’exemple du romantisme le plus indépendant, ne faisait que renchérir sur la froideur du style français.

C’est de la Chine que nous sont venus les principes sains et rationnels qui président depuis le milieu du XVIIIe siècle à la création de ces jardins magnifiques qu’on appelle tantôt anglais, tantôt chinois, tantôt anglo-chinois, et dont le vrai nom devrait être jardins naturels. Le principe qui préside à la création de ces jardins, quelques travestissemens qu’il ait pu subir, est et demeurera le seul principe rationnel. François Bacon, le premier, en 1644, s’élevant avec force contre les arbres taillés, les petits jets d’eau, la symétrie conventionnelle, tout le mauvais goût enfin de la mode régnante, prêcha aux Anglais l’imitation de la nature. Ces tentatives n’empêchèrent point Charles II d’appeler Le Nôtre en Angleterre; mais les idées nouvelles, à la diffusion desquelles contribuèrent pour leur bonne part les descriptions du Paradis perdu de Milton, trouvèrent en deux écrivains distingués, Addison et Pope, d’énergiques et habiles propagateurs. Le principe, admis désormais, devint bientôt une réalité vivante entre les mains de Kent, un contemporain de Pope. Le nouveau maître, peintre paysagiste, applique à l’art des jardins la composition des tableaux. La création du jardin de Stowe, sa première œuvre, emporta les dernières résistances. Cette nouvelle et vaste science ne demeura pas simplement historique, elle eut ses manuels, ses commentateurs, ses auteurs, — en Angleterre Mason, Whately, Chambers, Price,