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ture et d’un pinceau juste, sobre et fin. Ce qu’il faut reprocher à M. Rambaud, ce n’est pas d’avoir mal observé ses modèles, c’est de montrer quelque partialité pour ces volontés sans ressort. Au lieu d’aller au loin et au hasard chercher une vie imaginaire, ce qui est un prétexte à paresse des plus commodes, que Martin ne s’occupait-il de faire son œuvre dans la vie réelle? La plus obscure besogne, patiemment, vaillamment accomplie, lui en eût appris plus long sur le problème qui le préoccupe, que toutes ses pérégrinations. La vie, cette vie générale après laquelle il soupire, n’est pas une sorte de divinité mythologique tapie au fond de quelque bois sacré; on ne va point l’adorer en pèlerinage dans des sanctuaires reculés. Pour en aider le développement dans la mesure de ses forces, il faut rêver moins et travailler plus que ne le font Martin et ses deux compagnons. Elle diminue quand se multiplient ces dilettantes dédaigneux qui voient bien les maux existans, mais se réfugient, pour s’en consoler, dans une inaction sarcastique.

La note du découragement domine dans ce livre. On n’y trouve que des gens retirés du monde après en avoir épuisé les tristesses, et qui, couchés sous leur tente, ont pris le parti d’y rester immobiles en roulant des pensées amères. Martin lui-même, après la poursuite vaine d’un être de raison, annonce l’intention de se retirer dans les bois. Franchement, ce n’est point là une détermination bien héroïque et dont il faille beaucoup le louer. Espérons qu’il n’y a pas dans notre jeunesse beaucoup de contemplatifs aussi sceptiques. Y en eût-il beaucoup, M. Rambaud aurait encore le tort d’avoir trop l’air de les absoudre et de clore son livre sur cette conclusion négative. Il y a des leçons plus fermes à leur donner, et à voir un jeune auteur se complaire ainsi dans la peinture du désenchantement on a d’autant plus de regrets qu’il a en lui de quoi traiter les mêmes questions d’une façon plus utile, à un point de vue plus fécond. Ces théories débilitantes sont en effet mises dans un cadre ingénieux et exposées avec un art consciencieux et raffiné. Une tendance au raffinement est même le reproche le plus sérieux qu’on doive faire au style de ce petit livre. L’auteur a horreur de la vulgarité, et cette horreur salutaire ne laisse pas de l’entraîner quelquefois jusque sur les limites du précieux et du recherché. Ce défaut disparaîtrait, et les qualités qui l’accompagnent et le font pardonner se produiraient plus nettement, si M. Rambaud donnait à ses ouvrages un accent plus franc de réalité, à ses conclusions un caractère plus accusé de force morale et d’énergie virile.


A. E.


L. BULOZ.