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l’accorder, on avait armé de toutes parts, que l’Autriche et la Saxe s’étaient entendues, au lieu d’en appeler à la diète, que les rôles enfin avaient été renversés, et que c’était aux états qui avaient commencé les armemens de les réduire les premiers. L’envoyé d’Autriche protesta contre ces allégations. Appuyée par la Bavière, la motion saxonne fut adoptée par 10 voix contre 5. C’était un vote de défiance à l’égard de la Prusse. Il fut suivi d’un redoublement d’armemens qui en accentua davantage la portée. La Bavière mobilisa son armée, affirmant d’ailleurs ses intentions conciliantes et sa résolution de maintenir la paix fédérale contre quiconque s’en ferait le premier perturbateur. Les autres états secondaires, avec plus ou moins d’activité, suivirent son exemple. L’Allemagne se trouva bientôt tout entière sous les armes. Il en résulta de grandes misères et un mécontentement profond.

La Prusse traversait alors une crise intérieure non moins grave peut-être que celle où elle se précipitait au dehors. La mobilisation de la landwehr avait provoqué un mécontentement général. Les féodaux eux-mêmes, répugnant à l’alliance italienne, aux compromis avec Garibaldi, à l’appel enfin adressé au peuple allemand, combattaient le ministère. Partout on s’opposait à la guerre et on la redoutait; partout on se préoccupait de l’attitude de la France. La chambre des députés française venait d’écouter une éloquente leçon d’histoire où l’ambition prussienne était dévoilée avec une lucidité merveilleuse. On s’était, il est vrai, contenté d’applaudir et de protester de son goût pour la paix en votant le contingent ordinaire; mais peu après, à Auxerre, l’empereur Napoléon avait répudié les traités de 1815 et la vieille politique. Etait-ce une protestation, un encouragement à l’Allemagne, une revendication en cas de remaniemens européens? Les traités de 1815 avaient enlevé à la France les frontières du Rhin; on se le rappelait en Allemagne, et le patriotisme en prenait ombrage. Que l’on encourût l’hostilité de la France ou que l’on s’exposât à payer d’une province sa neutralité, l’une et l’autre hypothèse inquiétaient également et froissaient l’opinion. M. de Bismarck ne se laissa point émouvoir par l’orage qui se déchaînait contre lui. Ni les accusations qu’on lui prodiguait, ni les adresses qui arrivaient de toutes parts, ni l’attentat dirigé contre lui par un fanatique, ni les fatigues enfin de tant d’efforts et d’une responsabilité si pesante, n’ébranlèrent sa résolution. Il avait conquis la confiance da roi. Guillaume Ier en était venu à voir dans M. de Bismarck l’instrument, providentiel peut-être, de la grandeur de sa monarchie. Le ministre prussien put ainsi poursuivre son œuvre malgré toutes les résistances, et, la nécessité d’agir le pressant, il devait précipiter les coups.