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nus, d’une perfection incomparable. Il ne possède point la perfection absolue, attribut propre de la Divinité. Il n’est même pas sûr qu’il ait été l’idéal de la perfection humaine. « On regrette de devoir constater à côté d’un incomparable sentiment de la perfection divine des assertions qui stipulent un enfer éternel, l’existence personnelle du diable, la fin prochaine du monde jointe au retour du messie triomphant sur les nuées du ciel. Peut-être aussi serait-on en droit de lui reprocher certaines fautes fort excusables; mais il n’en est pas moins réel que le principe de la religion éternelle a été proclamé par lui et magnifiquement réalisé dans sa vie. La religion de l’esprit, supérieure aux rites, aux prêtres et aux dogmes, a donc fait son apparition avec lui, pour lui et en lui. L’excellence de la doctrine de Jésus ressort en particulier de ce qu’elle autorise pleinement l’homme à s’avancer indéfiniment au-delà du point où Jésus est resté lui-même. Tout ce qui s’accorde avec la raison, la conscience et le sentiment religieux est essentiellement chrétien. La religion du Christ est donc une religion de liberté, celle du développement continu, de la poursuite incessante du meilleur et du plus parfait. Une autre de ses supériorités, c’est qu’elle nous propose non pas un système, mais une méthode de religion et de vie, savoir l’obéissance à la loi intérieure écrite par Dieu sur les tables de nos cœurs. De plus elle est éminemment pratique, et compte pour rien la confession du dogme, l’accomplissement du rite, en comparaison d’une vie sainte et aimante. C’est une religion de la vie quotidienne, du foyer domestique et de la place publique, de la solitude en pleine campagne et aussi de la participation à la marche simultanée du genre humain[1]. »

On reconnaît bien dans ces derniers traits le génie anglo-américain. Son christianisme essentiellement pratique et social est encore plus l’expression de sa nature propre que de la vérité historique. La doctrine de Parker peut se résumer dans un mot emprunté à l’un des plus fermes organes du christianisme libéral en France, M. Pécaut[2] : c’est le théisme chrétien, c’est-à-dire un Dieu en une seule personne, dont n’approche nulle personnalité humaine, pas même celle du Christ, qui en est pourtant la plus pure image ici-bas, et qui a laissé une méthode de religion supérieure à tous les systèmes passés, présens et futurs, en ce qu’elle les engendre tous sans jamais s’épuiser.

Dans notre Europe, la réforme du protestantisme s’est développée sous la direction savante ou énergique d’hommes éminens par leur science ou leur éloquence. Nul n’a expliqué avec plus de

  1. Théodore Parker, sa vie et ses œuvres, par M. Albert Réville, p. 61 et suivantes.
  2. L’Avenir du théisme chrétien, 1864.