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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/988

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Certes nous souhaiterions de grand cœur qu’une telle admiration n’ait eu rien de factice. Cela trahirait un niveau général de goût auquel nous ne pensons guère (pourquoi n’en pas faire l’aveu ?) que notre pays parvienne de longtemps. On peut dire que la vue des belles œuvres, la notion même des bons modèles, ont manqué jusqu’à présent aux instituteurs primaires. Les élémens de comparaison et de jugement leur font défaut. Là comme ailleurs, l’enthousiasme de quelques-uns aura emporté les autres, le plus grand nombre a probablement applaudi de confiance. L’enquête de l’année dernière n’a-t-elle pas démontré que dans des départemens entiers tout est à créer en fait d’enseignement populaire de l’art ? Le goût raisonné n’existe pas, l’usage du dessin est ignoré ; on songe à peine à l’établir.

Les rapporteurs du concours pour les dessins des écoles de France ont jugé et annoté plus de dix mille feuilles. Ils constatent que notre pays n’est guère représenté pour le dessin que par une seule ville, Paris. D’autres ont bien des écoles supérieures ou des écoles professionnelles pour certaines fabrications spéciales, ainsi qu’on en a vu se former depuis 1830 à Lyon, à Mulhouse, à Saint-Étienne, à Reims, à Limoges ; il n’y a point d’enseignement d’ensemble. Celui des lycées et des collèges est faible, celui des écoles populaires ne fait que de naître, et les débuts en sont bien humbles. e qui manque, ce n’est ni la bonne volonté chez les élèves, ni les dispositions naturelles, ni la somme de travail produit ; mais la direction est parfois si mauvaise que l’administration a craint de publier les notes de la plupart des écoles. Nous croyons qu’elle a eu tort, et qu’il eût mieux valu exposer au grand jour les résultats connus. Quelle que puisse être la valeur de l’intention, il n’y a rien à gagner à ne faire qu’une demi-lumière. Une chose seulement a été démontrée, la nécessité d’une réforme dont le premier effet serait de mettre au rebut la plupart des modèles, qui favorisent les écarts du goût et, dit le rapport, « perpétuent l’ignorance. »

Cette question des modèles est en effet beaucoup plus importante qu’elle ne le paraît au premier abord. Avec des modèles médiocres, on ne formera que des élèves plus médiocres encore, exagérant les défauts des ouvrages qu’ils imitent, et ne s’élevant à la notion ni du but véritable ni des procédés les plus féconds du dessin. Que dans le modèle la reproduction des objets soit dépourvue de sincérité, compliquée, surchargée de détails inutiles, l’adulte, l’enfant, n’arriveront qu’à une copie informe, et s’épuiseront en efforts pénibles, malheureux. Ils useront beaucoup de temps et de force à comprendre ce qu’un modèle bien choisi et une méthode habile