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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/255

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sible. L’homme qui a écrit la partition de Lohengrin peut être discuté; mais, les rieurs feront bien d’en prendre leur parti, à présent il faut qu’on l’écoute. Rossini, qui n’est ni un sot ni un envieux, et dont, à tout prendre, l’enthousiasme qu’on peut lui supposer pour l’auteur de Tristan und Iseult ne saurait, j’imagine, égarer le jugement, Rossini disait naguère : « Avant dix ans, Wagner sera maître de toutes les scènes de l’Europe; c’est là un fait qui peut plaire ou ne pas plaire, mais que nul de nous ne saurait empêcher. » Et pourquoi tenter de l’empêcher? Quel génie voyons-nous poser sa candidature? Sans vouloir diminuer la valeur personnelle des deux seuls maîtres qui à l’heure qu’il est règnent au premier rang, n’est-il pas permis d’avancer que Verdi et Richard Wagner doivent en somme une bonne partie de leur influence à la médiocrité de ce qui les entoure, que leur force profite de la commune faiblesse, et qu’en d’autres temps ils n’eussent peut-être pas été tout ce qu’ils sont? Relative ou non, leur supériorité n’en est pas moins reconnue, et ce n’est pas un signe du temps médiocrement caractéristique de voir tous les directeurs de théâtre, même au plein du succès que leur vaut tel opéra d’occasion, tenir toujours leurs yeux fixés sur les deux maîtres.

Je n’ai point à faire ici l’éloge du livre de Cadio, une des plus originales et assurément des plus vigoureuses conceptions de ce grand esprit toujours au travail, à la peine, et qui semble avoir pour tâche de montrer aux générations nouvelles comment, à force d’activité, de volonté, on se perpétue au premier rang sans fléchir. Ce qui me charme surtout dans Cadio, c’est l’intérêt particulier de la forme; vous n’avez affaire ni à un roman dialogué, ni à un drame historique, vous êtes dans l’histoire même, dont les événemens reproduisent le côté pittoresque, et dont la conscience parle par la bouche des personnages. Ce livre m’a donné par momens de ces sensations qu’on n’éprouve qu’en lisant certaines chroniques de Shakspeare. Je citerais telle page de la dernière partie, — la scène des soldats s’apprêtant à fusiller les condamnés, — qui, pour le naturel, touche au sublime. C’est vrai, réel, avec un rayon d’idéal que la présence de l’auteur toujours et partout communique. Il discute avec ses caractères, anime et commente son paysage, ce qui fait que la plupart du temps ses personnages, de son propre aveu, sont des abstractions. Marie Hoche, par exemple, a c’est l’âme de la France, l’ange de la révolution. » Saint-Gueltas, le comte Henri de Sauvières, chacune de ces figures représente une idée. Nous en connaissons même une, et ce n’est certes pas la moins belle de ce tableau de maître, qui, à force de tendre vers l’absolu, finit par devenir un être de raison pure, pour lequel il n’y a point de nom dans la pièce, et qui s’appelle tout simplement le délégué! On comprend tout de suite quels avantages la forme dialoguée en un pareil sujet offrait à l’activité d’un artiste tel que George Sand. Elle avait aussi ses inconvéniens, car si d’une part nulle