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la route par laquelle il y est arrivé. Aujourd’hui je ressemble à ce même homme devant lequel vient de se dérouler l’histoire universelle des modernes, du moyen âge, des Romains, des Grecs, des Orientaux ; j’ai retrouvé mes liens d’origine non-seulement avec le genre humain, mais avec le monde lui-même.

Dans la société des Alpes se découvraient à moi une chronologie, un art supérieur de vérifier les dates, une critique, qui m’offraient l’équivalent et la confirmation de ce que j’ai rencontré toute ma vie dans l’histoire. Je ne tardai pas à voir que ces rapports ne doivent pas se borner à ces similitudes, mais qu’ils peuvent être conduits beaucoup plus loin, et devenir comme une méthode de découvertes. Dès lors je me décidai à aller jusqu’au bout dans ce chemin qui s’offrait à moi.

Quand, par exemple, je m’assurai pour la première fois de cette vérité, que «jamais dans les Alpes ni ailleurs: il n’y eut deux couches semblables, » cette proposition me frappa. Je vis bien que je rencontrais là une vérité non-seulement géologique, mais universelle. Eh quoi! pas une de ces générations de pierres entassées l’une sur l’autre ne se ressemble ni ne se répète? Le temps ne refait pas deux fois la même roche. Il ne revient jamais sur ses pas, même dans les œuvres sourdes, inanimées, qu’il dérobe aux yeux sous l’épaisseur des montagnes. Je me dis que j’aurais pu deviner cette vérité souterraine, qu’elle s’était offerte cent fois à moi à la clarté du soleil, dans le spectacle des générations humaines. N’avais-je pas vu les assises du monde civil se superposer, les peuples, les états, les arts se succéder sans jamais se répéter d’une manière identique? Il y avait donc un fil qui pouvait me conduire de la nature à l’homme, et me ramener de l’homme à la nature. En ce moment, la lumière semblait m’arriver de tous côtés. Je me mis à suivre ce rayon, bien décidé à voir où il me conduirait.

La nouvelle histoire des êtres sera de notre temps ce qu’a été à la renaissance la découverte du mouvement de la terre autour du soleil. Cette idée se fera sentir en toutes choses, elle entrera dans chacune des pensées humaines. L’ordre et la paix des intelligences renaîtront de cet ordre si visible dans le passé. En voyant une préparation si constante, un plan si soutenu, des fondemens si vastes, un si grand ordre dans l’éternité passée, l’homme prendra confiance dans l’éternité future. Il cessera de la craindre.


V. — UNE HEURE DE TROUBLE DANS LA SCIENCE. — L’ESPRIT DE CRITIQUE APPLIQUÉ A LA CHRONOLOGIE DE LA TERRE.

Comment ne pas admirer les efforts de l’esprit pour restaurer avec l’édifice écroulé des montagnes, à tel moment donné du temps,