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que sa digne moitié, tortillant délicatement la petite queue de la chevelure auguste qu’elle venait de poudrer, tenait déjà le couteau de bois destiné à racler sur le front et autour des yeux la fine fleur d’amidon surabondamment éparpillée. Et après m’avoir écouté d’un air bienveillant : — Va, mon petit homme, va trouver mamzelle Westphalen... Elle te donnera de ma part pour ta peine une belle pomme.

Mamzelle Westphalen, — ainsi appelée depuis l’arrivée des Français dans nos pays, — avait compté jadis parmi les plus lestes fillettes de la cité; mais l’âge, développant outre mesure le relief de ses charmes incontestables, leur avait communiqué un caractère imposant, une majesté lente, qui contrastaient étrangement avec la vivacité de son langage alerte et court-vêtu quand elle notifiait ses ordres aux deux soubrettes chargées du service intérieur. Hanchen et Corlin ne chômaient guère sous le sceptre de l’impérieuse Westphalen, qui, malgré sa bonté native, avait su leur inspirer une terreur salutaire.

Un certain jour de cette mémorable année 13, je me croisai en sortant du schloss (château) avec le vieux meunier de Gielow. qui venait, humble et contrit, confesser à l’amtshauptmann les embarras de sa situation pécuniaire. Il était, paraît-il, aux abois, et sollicitait naïvement des autorités la permission de faire faillite. — Y songez-vous? à votre âge? lui dit l’amtshauptmann, après avoir écouté ses doléances... Ces choses-là sont acceptables quand on est jeune, mais chez nous autres vieillards ne sauraient se tolérer... Vous avez presque la soixantaine, j’en suis certain.

— Peut-être bien,... je ne sais pas trop, répondait le meunier. Notre ancien pasteur Hammerschmidt, qui tenait chez nous les registres de l’état civil, n’a jamais pu me dire à dix ans près l’époque de ma naissance.

— N’importe, vous êtes trop vieux pour vous mettre dans tous les embarras d’une faillite. C’est comme si je m’en mêlais, moi qui vous parle... Voyons, Voss, ne me trouveriez-vous pas absurde?

Voss était embarrassé pour répondre à une pareille question, venue de si haut. Il se gratta la tête, regarda le bout de ses bottes, et finit par convenir qu’une résolution de ce genre l’étonnerait prodigieusement.

— Vous voyez donc bien, reprit l’amtshauptmann, qu’il ne faut pas y songer... Qui vous pousse d’ailleurs à cette folie?

— Bien des choses, herr amtshauptmann. D’abord ce maudit procès avec mon frère : nous n’avons voulu céder ni l’un ni l’autre, et Dieu sait ce que la justice nous a mangé d’argent; puis ce juif, ce damné juif Itzig, à qui je dois cinq cents thalers depuis dix-huit