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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/378

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Vous coucherez dans ma chambre, dans mon grand lit à baldaquin, et moi, bien entendu, j’irai coucher dans celle de nos deux servantes. Pourtant, quoi qu’il arrive, ne faites pas de bruit. Vous ne serez séparé que par une mince cloison de la chambre bleue, où les Français s’arrangent en ce moment pour passer la nuit.

Ceci convenu, nos deux personnages prirent ensemble le chemin de la chambre où Droz allait être casé. Cinq minutes plus tôt, ils en eussent vu sortir Fritz Sahlmann à très petit bruit. Ce malicieux petit drôle y était arrivé porteur d’un morceau de glace beaucoup plus gros qu’un melon ordinaire. Je ne me serais pas chargé de le hisser sur le ciel du grand lit à baldaquin destiné à receler chaque nuit les volumineux attraits de la femme de charge; mais la rancune prête des forces, le souvenir des nombreuses taloches dont il avait été régalé donnait à Fritz un énorme surcroît de vigueur et d’agilité. — Ah! qu’on est bien! s’écria Droz lorsque, après avoir déposé près du lit son attirail militaire et appuyé à la muraille son lourd fusil, le brave homme sentit une douce chaleur envahir la couche mollette où dans de beaux draps blancs il remplaçait sa bienveillante amie. Peu après, il entendit remonter le colonel français et son adjudant. Le souper de l’amtshauptmann les avait mis en gaité; ils bavardaient comme deux pies. Néanmoins le silence se fit, et seulement alors les oreilles de Droz perçurent un bruit sec et régulier qui lui remit en mémoire les questions de la Westphalen au sujet des revenans. — Toc! toc! toc! on eût dit que du bout d’une baguette une main légère frappait à la porte. Droz impatienté prit doucement un de ses souliers, et le lança dans la direction de cet inexplicable tapage. Le projectile atteignit la porte et retomba sur le parquet non sans éveiller quelques échos. — Ohé! qu’on se taise! cria l’un des dormeurs de la chambre voisine. Droz épouvanté s’ensevelit sous sa couverture. — Toc! toc! toc! le bruit mystérieux recommença de plus belle, et bientôt il sembla se rapprocher. — Comment diable! le fantôme est donc entré? se demanda l’horloger; mais quand et par où? — Tourmenté de ce problème, il se pencha hors du lit pour mieux entendre, et cette fois, sur son front chauve d’abord, puis au bout de son nez, deux larges gouttes d’eau se vinrent aplatir. Je laisse à penser s’il se recula brusquement. — Un trou dans le toit! pensa-t-il naturellement, et juste au-dessus de ma tête! il fallait bien porter remède à ce léger désastre, et pour cela le plus simple était de changer le lit de place. C’est à quoi s’employa immédiatement avec toutes les précautions requises pour n’être pas entendu l’industrieux artisan. Par malheur, il avait oublié que le bonnet à poil et le sabre de grenadier dont il s’était affublé la veille reposaient à côté de ce lit pesant qu’il s’efforçait d’ébranler. L’un et l’autre tombèrent à la pre-