Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/452

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeune mécréant? Ce qu’il fait, il regarde obliquement la Vierge et l’enfant avec des yeux en coulisse; mais il y a dans ce regard tant de bonté, le sourire de l’humaine sympathie éclaire si gentiment ce sensuel visage, le personnage respire tellement la franchise, la cordialité, l’amour, que nul respect ne vaudrait cette irrévérence. Voilà la force puissante et inconstante par laquelle le christianisme marchera dans le monde en ouvrant les sources de la pitié et de la bonté. Ah ! ce jeune rajah, c’est l’image exacte de ce que le christianisme fera de la masse de l’humanité, faible de chair et riche seulement de bonne volonté, dont il ne convertira jamais entièrement la nature païenne, mais dans laquelle il déposera un levain d’attendrissement qui, à l’heure voulue, soulèvera toute la pâte de la chair. Oui, ce sont bien trois mages, car ils portent d’autres noms que ceux de Balthazar, Melchior et Gaspard; ils portent les noms des trois termes de la formule qui est la clé de voûte suprême de la magie; le premier s’appelle Doxé, le second Dunamis, le troisième Éros, science, puissance, amour, les trois forces dont la réunion forme la magie parfaite. Voilà les pensées qui apparaissent par derrière les spectacles merveilleux de Rubens avec la soudaineté de l’éclair dès qu’on arrête les yeux sur eux avec une attention suffisante. Qu’on ne considère point notre explication comme un jeu de notre imagination mise en mouvement par l’enthousiasme. Cette synthèse de la fortune du christianisme est contenue en toute réalité dans ce tableau, car elle est imposée à la réflexion par l’attitude, les vêtemens, les physionomies et la pantomime des personnages. On peut ne pas l’apercevoir; mais, une fois qu’on l’a aperçue, il est impossible de la nier[1].

Voulez-vous un autre exemple de cette étonnante intelligence ? Prenons la Pêche miraculeuse qui se voit à Notre-Dame de Malines. C’est un des tableaux que tous les artistes doivent étudier avec le plus de soin, car nulle part les qualités et les défauts du dessin de Rubens ne se sont aussi ouvertement et franchement accusés. Il y a là une série d’académies d’après le modèle vivant aussi instructives que variées. Ces dos ronds, ces épaules carrées, ces râbles

  1. Rubens a traité plusieurs fois le sujet de l’adoration des mages, et notamment dans une toile qui orne le maître-autel de l’église de Saint-Jean à Malines; mais avec la meilleure volonté du monde il m’a été impossible de voir à mon aise cette œuvre fort estimée de beaucoup de connaisseurs : aussi n’en dirai-je rien. Il en est de même de la fameuse Assomption du maître-autel de Notre-Dame d’Anvers. Puisque j’en trouve l’occasion, je demanderai pourquoi on laisse ces pages capitales placées dans des conditions si défavorables. Ne pourrait-on les remplacer par de bonnes copies, qui décoreraient tout aussi bien les maîtres-autels que les originaux, et placer ces derniers en lieu sûr, à l’abri de l’humidité, de la fumée des cierges, et à un endroit où l’on puisse les voir?