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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/465

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une vaste association et bien connus au siècle dernier sous le nom d’endormeurs offraient à tout venant dans les lieux publics, et surtout la nuit dans les voitures, des prises d’un certain tabac mélangé avec de la poudre de datura, puis ils profitaient de l’assoupissement où ne tardaient pas à tomber les victimes pour les dépouiller à leur aise. Jadis les courtisanes de l’Inde et de l’Egypte mettaient à profit la propriété qu’a le datura d’attaquer l’encéphale et d’y occasionner les plus graves désordres, tels que la perte de la mémoire ou un affaiblissement intellectuel voisin de l’aliénation mentale; elles mêlaient des décoctions de cette herbe à des breuvages qui mettaient à leur merci ceux dont elles convoitaient les richesses. Les propriétés narcotiques des solanées ont été également utilisées par des fanatiques de toute secte, par des imposteurs de toute espèce, Voyans, thaumaturges, faquirs, sorciers, derviches, magiciens et prêtres ne manquaient pas, dans les cérémonies de leur culte, de brûler des substances narcotiques, en tête desquelles se plaçait le datura stramonium ; ils se procuraient ainsi à volonté tantôt cette insensibilité nécessaire aux Hindous pour les pratiques cruelles et folles dont ils ensanglantaient leurs temples, tantôt ces extases ou délires sacrés que les religions grecque et romaine mirent si longtemps à profit. On provoquait des crises nerveuses chez les malheureuses pythonisses par de longs jeûnes, des boissons enivrantes, des inhalations de natures diverses, et les phrases inintelligibles qu’elles laissaient échapper dans le délire constituaient les fameux oracles auxquels les grands-prêtres avaient toujours soin de donner une double signification.

Le genre jusquiame, dont le nom français n’est évidemment que l’altération du nom latin hyoscyamus, renferme une vingtaine d’espèces herbacées qui toutes appartiennent à l’ancien continent. Nous n’en citerons que deux, très connues et même célèbres: la jusquiame noire et la jusquiame blanche. La première, vulgairement désignée sous le nom de hannebane, se rencontre en Europe sur les décombres voisins des habitations et parfois aussi le long des chemins, où les bohémiens l’ont probablement semée. La jusquiame n’est peut-être pas la plus vénéneuse des solanées, mais elle en est à coup sûr la plus livide. Une tige épaisse, dure et couverte de poils visqueux, des feuilles irrégulièrement découpées, pâles et revêtues comme la tige d’une villosité gluante, des fleurs dont les pétales d’un jaune honteux semblent vouloir se cacher sous un réseau de veines noires ou violacées, tel est le signalement de la hannebane. La jusquiame blanche, à fleurs d’un jaune pâle, moins rameuse, plus petite et d’aspect moins déplaisant que sa sœur, n’est guère moins malfaisante. Nous disions tout à l’heure que la jusquiame