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matière en était pour ainsi dire épuisée, et qu’il se tourne vers de nouvelles espérances que son talent, dans toute sa force, justifie assurément. Pouvons-nous ne pas dire quelques mots encore de ses préfaces si bruyantes, si aventureuses, si conformes à l’esprit du maître dont il s’est inspiré ? Il eût manqué à M. Dumas un trait de ressemblance avec Balzac, si, après avoir passé sa vie et consacré sa plume. à divertir le public, il ne s’était donné le rôle de réformateur et de prophète de l’avenir. Pourquoi des préfaces quand il a le loisir de parler tous les soirs au public ? Pourquoi produire sa personne lorsqu’il pouvait mettre dans la bouche de ses héros les maximes qui lui semblent utiles au salut du monde ? Pourquoi risquer étourdiment en son propre nom des thèses qui se contredisent souvent ? Le lecteur le plus distrait peut opposer ces préfaces l’une à l’autre. N’est-il pas plus simple de charger tel ou tel personnage de soutenir telle ou telle doctrine ? Les contradictions seraient portées au compte des libertés du genre dramatique. Tant que M. Dumas fils s’est caché derrière ses héros, il a eu le privilège de soulever les discussions : sa dernière comédie en a fourni la preuve éclatante. Dès que les Idées de Mme Aubray sont devenues l’introduction de la Dame aux Camélias, il n’a plus été pris au sérieux. On discutait le poète satirique, on a ri du réformateur. Suivrons-nous M. Dumas fils sur ce terrain ? Examinerons-nous par exemple son système de conscription pour les jeunes filles ? Il vaut mieux renvoyer cette théorie à l’étude dans ces meetings où, après dix-huit ans de silence, éclate quelque chose comme le brouhaha des paroles dégelées dans Rabelais ; aussi bien ces préfaces ressemblent, à s’y méprendre, à des conférences, particulièrement à celles où l’orateur parle surtout de lui-même. Le langage n’en est guère meilleur ; ici pourtant il n’y a pas d’exemple de Molière qui tienne, et rien n’oblige l’auteur d’être incorrect ou trivial par amour de l’art. Apprécierons-nous les raisons qu’il donne pour mettre sur la scène telle sorte de personnages, ou les témoignages qu’il cite afin d’établir la réalité des types produits par lui aux feux de la rampe ? Puisqu’il a jugé convenable de laisser le ton de la comédie et de se souvenir, suivant sa propre expression, « qu’il a charge d’âmes, » contentons-nous de lui faire observer que ces velléités de moraliste, loin de porter la lumière dans l’esprit des philosophes et des hommes d’état, contribueront peu à mettre dans la bonne voie les simples écrivains comme nous tous. M. Dumas fils, après vingt autres, a fait une peinture navrante de la carrière des lettres. Il semble que l’homme qui s’y est engagé soit une sorte de forçat marchant à la ruine de sa santé et de son intelligence sous le fouet du journal et du théâtre. Victime du café et de l’absinthe, il doit finir par la folie