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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 78.djvu/924

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aucun des détails d’un départ. Les petites demoiselles allemandes et flamandes, bien costumées pour le voyage, marchent en troupe d’un pas grave, sans précipitation ni lenteur, leurs petits sacs et leurs petits nécessaires à la main, pendant que de robustes commissionnaires portent leurs petites malles et les déposent sur le vaisseau, et cette exactitude continue jusqu’à la scène suprême du martyre avec la garrulité touchante des vieux légendaires et des vieux poètes épiques qui n’omettent aucune circonstance ; mais de même qu’entre les parties d’un drame musical on place souvent une mélodie rêveuse pour reposer l’âme d’une émotion trop continue, Hemling a séparé en deux parties l’histoire de sainte Ursule par les deux miniatures qui décorent les deux bouts de la châsse. Dans la première, qui est comme l’ouverture chargée de mettre l’âme du spectateur au ton de la légende qu’il voulait peindre, il a placé la vierge, protectrice naturelle d’Ursule et de ses compagnes. Dans la seconde, introduction logique à la seconde partie de la légende, le martyre des vierges, il a montré Ursule debout et telle que la reine du royaume de la pudeur, abritant ses compagnes sous son manteau. J’ai dit qu’Hemling était plutôt adorable que grand ; pourtant il a touché à la grandeur au moins une fois, et c’est dans cette miniature qui, venant après les premières scènes de la légende, change brusquement les émotions du spectateur, et de gai qu’il était le dispose au sérieux et aux sentimens qui ne permettent pas le sourire.

Une chose touchante dans les tableaux d’Hemling, c’est d’y retrouver le vivant témoignage de l’antique magnificence de cette ville de Bruges, sorte de Venise flamande, pleine de mouvement et d’éclat, aujourd’hui morte aimable. Les costumes des personnages d’Hemling font foi des richesses de cette ville. Quelles superbes étoffes composaient les robes de ces dames de Bruges, célèbres pour leur beauté ! quel grand goût dans les dessins et les ramages qui les décorent, dans le choix des nuances pour les couleurs ! Une certaine robe feuille-morte à grands ramages du Mariage mystique de sainte Catherine m’est surtout restée dans le souvenir. Longtemps avant les Vénitiens, et sans songer à donner à ces accessoires du costume et du luxe l’importance pittoresque qu’ils leurs donnèrent, Hemling, en obéissant au seul sentiment de la réalité, qui n’a jamais abandonné les Flamands, et en copiant fidèlement les spectacles qui l’entouraient dans la plus riche des villes des Flandres, a présenté des échantillons de magnificences à faire envie à Titien, à Véronèse et à Rubens. Le roi nègre de l’Adoration des Mages, avec sa fière et pittoresque tournure, sa taille élégante, son riche costume, copie visible de quelque serviteur noir amené des pays