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LA SERBIE AU XIXe SIÈCLE.


digne d’étude que celle de ce peuple pressé ainsi par tant d’influences contraires à une époque décisive de l’histoire ; à le voir plus tard si ferme et si habile, si audacieux et si prudent, on est disposé à croire que les mêmes qualités se déclarèrent chez lui dès le début, et l’on voudrait pouvoir l’apprécier sur pièces authentiques au moment où il subit cette périlleuse épreuve.

À défaut de ces documens, à défaut de cette histoire des anciens Serbes rétablie de siècle en siècle et de génération en génération, il y a du moins certaines périodes bien connues qui suffisent à mettre en relief les principaux traits du caractère national. Le premier, c’est un sentiment d’indépendance jalouse et une rare habileté à tirer parti des circonstances critiques. Au xie siècle, il n’y avait entre les Serbes et l’empire d’Orient qu’un simple lien de vassalité ; les Byzantins ayant voulu resserrer ce lien, introduire leur administration dans les vallées du Danube, lancer parmi les montagnards leurs collecteurs d’impôts, les Serbes, sans hésiter, chassent de leur territoire tous les agens de l’empire, les anciens comme les nouveaux. L’empereur envoie une armée pour les soumettre ; ils l’attirent dans les montagnes et l’écrasent (1043). À dater de ce moment, les Serbes se constituent en souveraineté libre. Leurs chefs ne portaient pas encore le titre de rois : Grégoire VII fut le premier qui les salua de ce nom, espérant les détacher de l’église grecque ; mais les Serbes se servaient de l’Occident contre l’Orient et de l’Orient contre l’Occident. Quand Manuel Comnène eut la prétention de restaurer l’empire de Constantin et de réunir les deux couronnes, les Serbes furent l’avant-garde de l’Europe romano-germanique contre les projets de Byzance. À ce moment, et quand Grégoire VII, non content de décerner au chef slave le titre de majesté, l’appelait du nom de fils, qui n’aurait cru que les Serbes se dégageraient bientôt de l’église byzantine, laquelle semblait impliquer pour eux la tutelle des empereurs d’Orient ? Il n’en fut rien. Les Serbes voulaient avoir une église nationale. Soit que la puissance de la papauté romaine les inquiétât, soit que cette puissance fût trop éloignée pour qu’ils en pussent tirer profit, ils préférèrent l’église d’Orient, sauf à s’en approprier l’influence religieuse. Les avances des pontifes romains leur servirent à obtenir de précieuses concessions des patriarches de Constantinople. C’est ainsi qu’ils acquirent le droit de choisir toujours leur archevêque dans leur propre clergé ; jusque-là, c’était le plus souvent un Grec délégué par le patriarche.

    même fait est attesté par des voyageurs arabes du xe siècle, Ibn Haukhal et Massudi ; Klaproth a traduit ces textes dans sa description des provinces russes situées entre la mer Caspienne et la Mer-Noire : Beschreibung der Bussischen Provinzen zwischen dem Kaspichen und Schwarzen Meere ; Berlin 1814.