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HISTOIRE DES SCIENCES

médiocre, et il devait bien y avoir dans son roman quelques-uns des traits de la réalité. Si nous demandons maintenant à un physiologiste comment les choses se passent, il nous répondra que tout se fait par des cellules. Ces cellules ne sont pas les molécules organiques de Buffon, car celles-ci devaient être incorruptibles, inaltérables, tandis que les cellules ont une vie évolutive, naissent et meurent. C’est là une différence fondamentale ; mais enfin ces cellules, par elles-mêmes ou par leurs dérivés, forment tout le corps des animaux. Dans la génération interviennent des élémens issus du corps du mâle et des élémens issus du corps de la femelle ; il y a des ovules mâles et des ovules femelles, et les cellules embryonnaires qui les constituent subissent une sorte de mélange assez semblable à celui que signalait Buffon. C’est à la suite de ce phénomène (liquéfaction du vitellus) que la toile embryonnaire se forme, et qu’on y voit des cellules spécifiquement distinctes, différenciées dès leur naissance par les propriétés anatomiques, former les divers organes et les diverses parties de l’animal, les unes constituant le système circulatoire, celles-ci le système musculaire, celles-là le système nerveux. N’y a-t-il pas là comme un souvenir lointain de ces molécules hétérogènes que Buffon tirait de tous les points du corps pour former l’être nouveau ?


V.

Il faut nous borner. Nous n’aurions jamais fini, si nous voulions toucher à tous les sujets scientifiques qui excitaient l’intérêt de Voltaire au fond de son château de Ferney. Il ne faisait plus d’expériences suivies comme à Cirey, et il se contentait en général de se renseigner sur les travaux des savans : cependant à l’occasion il savait encore recourir à l’observation directe. Un jour il veut vérifier les traditions relatives aux procédés qu’Annibal a employés pour se frayer un chemin à travers les Alpes ; il fait chauffer de grandes masses de vinaigre, et s’assure que le liquide bouillant désagrège facilement les roches alpestres. Un autre jour il institue des recherches sur les limaçons ; il voulait contrôler une assertion de Spallanzani, qui avait dit que la tête repousse aux limaces auxquelles on l’a coupée. Il prend donc vingt limaces sans coque, de couleur mordoré-brun, et leur coupe la tête entière avec les quatre antennes ; il fait de même à douze escargots à coquille, puis il coupe aussi la tête à huit autres escargots, mais entre les deux antennes. Au bout de quinze jours, il voit une tête naissante se montrer chez deux de ses limaces ; elles mangeaient déjà, et leurs quatre antennes commençaient à poindre. Les autres se portaient bien, mais elles avaient