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III.

Le troisième acte, qui finira si mal, commence bien. Marguerite d’Angoulême, nouvellement mariée au roi de Navarre, a pris Berquin au service de son mari[1]. Il va donc s’éloigner souvent de Paris, suivant la cour nomade d’un roi sans royaume, et, s’il consent à ne plus parler, à ne plus écrire, on peut l’oublier. Voici toutefois sa situation véritable : il est condamné comme hérétique et relaps. Cette sentence rendue, il devait être mis à mort par le bras séculier. Un empêchement est survenu, le bras séculier n’a pu remplir son office; mais la sentence demeure intacte, et si le roi, qui s’est mis entre Berquin et le bourreau, quitte cette place, le bourreau va frapper. La vie de Berquin est en suspens, à la merci d’une circonstance. Si donc il a souci de vivre, il doit se taire. Puisqu’il est du parti de la liberté, il est du parti de la justice : il peut se consoler de toutes ses disgrâces en se disant cela tous les jours à lui-même, mais il faut qu’il s’abstienne de le prêcher en public. C’est le conseil que lui donne Érasme.

Ce conseil est encore une fois inutile : Berquin ne l’écoute pas. Il est gentilhomme, il est fier, il est vaillant, il ne considère pas les dangers. On lui dit d’accepter humblement sa défaite. Eh bien! il ne lui suffira plus maintenant de reproduire ses opinions deux fois condamnées et de protester contre la sentence de ses juges; il se proposera d’accuser les opinions de ses juges eux-mêmes et d’obtenir contre elles un arrêt. Ils déclarent que, s’il fronde l’église, il est mauvais chrétien : il veut un arrêt qui les déclare impies.


« Plus il avait de confiance, dit Érasme, plus je craignais pour lui. C’est pourquoi je lui écrivis fréquemment pour l’inviter ou bien à se faire mettre hors de cause par quelque expédient, ou bien à s’éloigner sous le prétexte d’une ambassade royale obtenue par le crédit de ses amis. Je lui disais que les théologiens laisseraient peut-être avec le temps tomber son affaire, mais qu’ils ne s’avoueraient jamais coupables du crime d’impiété; je lui disais d’avoir toujours présent à l’esprit quelle hydre était ce Béda et par combien de gueules il soufflait le venin; je lui disais de bien réfléchir qu’il allait se commettre avec un adversaire immortel, car une faculté ne meurt pas, et de bien se persuader encore qu’après avoir appelé trois moines au combat, il allait avoir à se défendre contre des légions nombreuses, non-seulement opulentes et puissantes, mais encore très malhonnêtes et très expérimentées dans la pratique de toutes les

  1. Journal d’un bourgeois de Paris, p. 380.