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de Londres au régent. « Je n’examine pas, y disait-il, la théorie des conseils ; elle fut, vous le savez, l’objet idolâtré des esprits creux de la vieille cour. Humiliés. de leur nullité dans les fins du dernier règne, ils engendrèrent ce système sur les rêveries de M. de Cambrai. Mais je songe à vous, je songe à votre intérêt. Le roi deviendra majeur ; ne doutez pas qu’on ne l’engage à faire revivre la manière de gouverner du feu roi, si commode, si absolue, et que les nouveaux établissemens ont fait regretter. Vous aurez l’affront de voir détruire votre ouvrage. Supprimez donc les conseils, si vous voulez être toujours nécessaire, et hâtez-vous de remplacer des grands seigneurs qui deviendraient vos rivaux par de simples secrétaires d’état qui, sans crédit et sans famille, resteront vos créatures[1]. »

Ainsi succomba cette tentative qui aurait pu épargner à la France le règne de Louis XV. L’abbé de Saint-Pierre céda de bonne grâce ; continuant à méditer sur le même sujet, il publia quelques années après un nouveau système qu’il considérait comme le perfectionnement du premier. Cette fois il s’agissait de trois ministères se partageant toutes les attributions du gouvernement, un ministère du dedans, un ministère du dehors et un ministère des finances. Chaque ministère devait être divisé en bureaux composés de conseillers d’état et de maîtres des requêtes, ce qui rétablissait la Polysynodie sous une forme plus hiérarchique. L’abbé avait imaginé une académie politique destinée à mettre à l’étude toutes les questions d’utilité publique et à recruter les membres des conseils. Cette académie devait se composer de quarante membres ; pour la former, on devait établir trois compagnies d’étudians politiques de trente membres chacune, l’une prise dans la magistrature, la seconde dans la noblesse, la troisième dans le clergé, et, lorsqu’il s’agirait de remplir une place vacante à l’académie, ces trois compagnies devaient présenter au roi trois candidats : c’est ce qu’il appelait la méthode du scrutin perfectionné. Par ce système, il espérait porter au gouvernement les plus vertueux et les plus habiles sans aucun mélange d’intrigue et de faveur. Il voyait dans le scrutin un excellent anthropomètre, et le mode de gouvernement qui devait en sortir, il l’appelait l’aristomonarchie, c’est-à-dire le gouvernement d’un seul ayant pour instrumens les meilleurs citoyens. Cette forme du scrutin perfectionné devait dans sa pensée s’appliquer à la nomination de tous les emplois.

Tout cela était sans doute fort ingénu ; on n’en doit pas moins savoir gré au rêveur obstiné qui, sous un despotisme écrasant, cherchait à obtenir au moins une ombre d’élection et de liberté.

  1. Lémontey, Histoire de la Régence, t. Ier, p. 193.