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pas que l’Allemagne, si ce n’est peut-être que l’influence du pouvoir central l’emporte trop souvent sur celle des autorités locales et des pères de famille; mais c’est sans doute matière à éloges que nous ayons su nous maintenir, avec un naturel moins studieux, au même rang que nos voisins d’outre-Rhin.

En définitive, on reconnaîtra qu’à l’étranger comme en France, abstraction faite des querelles politiques et religieuses auxquelles l’éducation publique ne devrait jamais être mêlée, la question la plus discutée partout en matière d’instruction secondaire est d’établir un accord équitable entre les lettres et les sciences. D’une part on nous affirme que les lettres sont indispensables pour maintenir la supériorité morale des hautes classes de la société, d’un autre côté la suprématie industrielle et commerciale d’une nation dépend sans contredit de la diffusion des connaissances scientifiques. Il paraît incontestable aussi que la culture littéraire exclusive ne donne pas aux jeunes gens la précision de raisonnement dont ils auront besoin dans les affaires de la vie. A dire vrai, la cause de l’enseignement scientifique n’a plus besoin d’être défendue; même en Angleterre, les sciences s’imposent dans les écoles de tout rang par l’irréfutable motif de l’utilité. On discuterait moins à ce sujet, si l’on avait soin de faire la distinction qu’il convient d’établir entre l’éducation et l’instruction. L’instruction se compose de ce que l’enfant apprend; nul doute qu’elle ne doive s’occuper surtout des choses utiles. L’éducation a un but plus élevé, qui est de former des hommes, de tremper les caractères, d’aiguiser l’esprit. L’éducation est le produit de deux facteurs, le savoir et l’intelligence, qui ne sont pas indépendans l’un de l’autre, mais qui ne marchent pas toujours du même pas. La vertu spéciale des humanités est de maintenir ces deux facteurs dans un juste rapport, et c’est un service signalé qu’elles nous rendent, car, s’il est regrettable quelquefois que l’instruction fasse défaut aux gens intelligens, il est dangereux ou tout au moins superflu qu’un homme ait plus de savoir que d’intelligence, ce qui est le défaut trop fréquent d’un enseignement mal dirigé.


H. BLERZY.