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Comme les esprits qui ont la passion de la polémique, M. Gratry ne voit, n’entend jamais que sa propre pensée. Si l’on s’avise de parler de la femme chrétienne et de la femme moderne, comme on parle de la morale chrétienne et de la morale moderne, M. Gratry ne sait point ce qu’on veut dire. Il sait et nous rappelle les dogmes, les institutions, les qualifications où le mysticisme chrétien relève et célèbre la femme, déjà idéalisée par le sentiment tout personnel des races du nord ; mais il a beau chercher, il ne trouve rien, absolument rien, dans l’histoire de l’église, qui réponde à nos paroles sur le jugement de l’église touchant la femme. M. Gratry oublie donc que, selon la Bible, la femme n’est pas faite, comme l’homme, à l’image de Dieu. Il oublie que toute la doctrine de l’apôtre Paul sur la femme et le mariage n’est que le commentaire d’un texte de la genèse. « L’homme est le chef de la femme, et il ne doit pas se couvrir la tête, parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l’homme[1], car l’homme n’a pas été tiré de la femme, mais la femme de l’homme, et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. » Il oublie que Bossuet a dit : « Les femmes n’ont qu’à se souvenir de leur origine, et, sans trop vanter leur délicatesse, songer après tout qu’elles viennent d’un os surnuméraire, où il n’y avait de beauté que celle que Dieu y voulut mettre[2]. » Ne trouve-t-on pas des théologiens qui ont dit que «les femmes ressusciteront non dans leur sexe, mais dans celui de l’homme[3]? » N’est-ce pas Justin le Martyr qui a dit à propos du mythe de Pallas, sortant tout armée du cerveau de Jupiter : « C’est le comble du ridicule d’avoir été prendre, pour en faire l’emblème de l’intelligence, la figure d’une femme[4]. » N’est-ce pas au sein d’un concile que fut agitée la question de savoir si la femme a une âme[5]? N’est-ce pas le pape Sirice qui, dans une lettre adressée aux évêques d’Espagne, nomme le mariage une immondicité? N’est-ce pas le concile de Trente qui a dit : « Si quelqu’un soutient que l’état de mariage doit être préféré à celui de la virginité et du célibat, et que ce n’est pas quelque chose de meilleur et de plus heureux de demeurer dans la virginité et le célibat que de se marier, qu’il soit anathème[6]? »

Et pourquoi ce dégoût du mariage ? parce que toute œuvre de chair est essentiellement impure aux yeux de l’église en dépit de

  1. Coran, chap. XI.
  2. Élévation sur les mystères.
  3. August. de Civit. Dei 1. XXII, c. XVII.
  4. Justin, Ier Apolog.
  5. Conc. de Macon, 585, can. XVI.
  6. Concil. Trident., sess. XXIV, can. X.