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mêmes règles de critique historique. Ce qui lui paraît certain, douteux, suspect en fait d’authenticité soit des noms, soit des dates, soit des textes, lui paraît tel pour les mêmes raisons, qu’il s’agisse d’un texte homérique ou d’un texte évangélique. Si, par exemple, elle rejette Jean à la dernière période des publications évangéliques, si elle hésite à conserver à Matthieu le texte identique à la formule du baptême, tel que le rituel la contient, si elle est frappée de la diversité et de la contradiction des Évangiles, particulièrement à l’endroit de la passion, au point d’en tirer des conjectures sur la différence des traditions, sur la réalité historique dont les auteurs évangéliques ont été les organes, c’est que tout cela est simple, juste, rationnel en bonne et saine critique. Et si, de l’analyse des textes, la science contemporaine passe à l’histoire du dogme, en assistant à ce grand spectacle des discussions et des hérésies théologiques, en voyant comment il n’est dans les livres évangéliques qu’un germe obscur, formé d’élémens vagues et incohérens, comment ce germe se développe, s’organise par les travaux des apologistes et des exégètes, s’aidant de leur érudition philosophique depuis Justin jusqu’à Origène, comment enfin, devenu une grande doctrine, il est converti en dogme définitif par le symbole de Nicée, elle constate que cette histoire n’a pas suivi d’autres lois de développement et de progrès que celles de toutes les œuvres humaines, et surtout de toutes les institutions religieuses du passé.

Rien n’a manqué, en effet, à cette analogie, ni l’obscurité et l’insuffisance de la tradition primitive, ni la contradiction des textes, ni la diversité et la divergence des commentaires, ni l’anarchie religieuse causée par la multiplication des sectes, ni même l’intervention des césars dominant parfois les conciles réunis pour fixer le dogme. M. l’évêque de Grenoble nous dit quelque part : « Lorsque les évêques réunis à Nicée formulèrent leur symbole, ils étaient assurés que leur foi était celle de toute l’église. » Il ne peut oublier pourtant la grande hérésie d’Arius et tant d’autres qui agitaient et partageaient l’église, et auxquelles les premiers conciles ne purent mettre fin, tout en arrêtant la formule orthodoxe du dogme. Ce ne sont pas des fidèles seulement, ce sont des prêtres, des évêques, des églises presque entières qui ont embrassé et longtemps défendu telle ou telle hérésie. Hérésie, par parenthèse, est un mot qui ne fait illusion qu’aux théologiens. Avant l’arrêt du concile, il n’y a en présence que des interprétations divergentes d’une tradition obscure ou incomplète. Pour la critique, c’est l’arrêt du concile qui fait la doctrine orthodoxe ou hérétique, parce qu’elle ne regarde pas le dogme comme tout fait d’avance. En reconnaissant les graves raisons qui ont décidé le concile à préférer la théologie d’Athanase à