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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/24

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un petit village gris entouré d’une enceinte sans ouverture apparente. Pas un arbre, pas un misérable petit arbuste. Il ne faut pas confondre les fières et belliqueuses tribus nomades avec les habitans de ces petits ksour[1] du sud, leurs éternels ennemis. Ceux-ci sont pacifiques et sédentaires ; ils ne connaissent que la guerre défensive, et ne tirent jamais un coup de fusil qu’à travers Les trous informes qui servent de créneaux à leurs murailles. Leur occupation consiste presque uniquement à cultiver des plantes potagères. La source de Tadjrouna suffit tout au plus pour désaltérer ses 200 ou 300 habitans et pour arroser l’espace concédé jadis aux compagnons de Didon, celui que pouvait couvrir la peau d’un bœuf. Aussi le désespoir des indigènes fut-il grand lorsqu’ils nous virent le lendemain remplir nos tonneaux et emporter sur le dos de nos chameaux l’espoir de leurs jardins. On confia au caïd une réserve de vivres, qu’un convoi spécial avait amenée de Laghouat, et le 29 mars au matin on dit adieu à ce reste de civilisation.

A peine sortis de Tadjrouna, nous trouvâmes une de ces rivières déjà décrites, l’Oued-Zergoun, que nous suivîmes pendant trois jours, marchant presque directement vers le sud. Chaque soir, on dressait les tentes sur le bord d’un r’edir, et les chevaux, attachés au milieu d’une herbe touffue, se gorgeaient de vert, dont ils allaient être privés pour longtemps. Enfin le 31 mars nous campâmes dans un endroit appelé Thir-el-Habchi. Là une partie des goums reçut l’ordre de se porter sur le Mzab et de s’entendre avec les Chambaas, nos alliés, pour attaquer Ben-Naceur-ben-Chohra en lui laissant croire que la colonne arrivait, et de venir ensuite nous rejoindre. Grâce à cette ruse, Si-Lala, averti que nous marchions sur le Mzab, se garda bien de quitter les eaux de l’Oued-Gharbi, où nous allions tenter de le surprendre. Pour laisser à cette fausse nouvelle le temps de se répandre, on resta trois jours à Thir-el-Habchi.

Il nous fallait quatre grandes étapes pour atteindre le lit de l’Oued-Seggueur, le point le plus rapproché où nous puissions trouver de l’eau. Les tonneaux furent remplis et bouchés avec un soin tout particulier. Les chameaux ou plutôt les dromadaires, car c’est par erreur que l’usage s’est établi de les appeler ainsi, sont affublés d’une espèce de bât adapté tant bien que mal à la forme de leur unique bosse. Le bât, qui est retenu sous le ventre de l’animal par des cordes faites de son propre poil, devient son compagnon inséparable, et reste sur son dos jusqu’à ce que la pourriture des cordes le laisse tomber de lui-même; on ne l’ôte sous aucun prétexte. Un sac double, également en poil de chameau, jeté trans-

  1. Ksar, village; pluriel, ksour.