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recherchés par les généraux de l’ancienne Rome. L’argent a suivi les honneurs et les avait précédés.

Harpocras ne le cède en rien à Posidès; il est riche comme tous ses associés, mais plus épris de popularité. Pour gagner la faveur populaire, il donne des spectacles; il a obtenu de Claude ce droit qui n’est accordé qu’à des magistrats spéciaux, de même qu’il se fait insolemment porter en litière dans les rues de Rome, par une faveur inouïe de l’empereur. La canaille le connaît bien et l’applaudit : il veille à ses plaisirs et il accompagne Claude lorsqu’il assiste aux jeux, ce qui n’est pas une sinécure, car le bon Claude arrive dès l’aurore et ne part que le dernier.

Que dire de Myron, du brillant Myron, si ce n’est qu’il est honoré comme Polybe des faveurs de Messaline, et que cette gloire lui coûtera bientôt la vie? Que dire de Roter, si ce n’est qu’il a été l’amant de la première femme de Claude, Urgulanilla, et que l’enfant qu’il a eu d’elle a été exposé publiquement? L’histoire n’oubliera pas non plus Evodus, l’homme de confiance de Narcisse, qui surveille les centurions chargés de tuer et rend compte de leurs expéditions, ni l’eunuque Halotus, panetier et échanson de l’empereur, qui déguste tous les mets, mais dont la vigilance sera déjouée par l’adresse d’Agrippine.

Nous n’avons nommé que la fleur : derrière ces grands personnages s’agitait une légion d’affranchis qui devenaient leurs ministres, leurs secrétaires, leurs intendans, leurs flatteurs, qui employaient, à leur tour, d’innombrables esclaves; c’était un monde occulte et tout-puissant. Ou en comptait de toute provenance, de toute race, de tout âge, de tout sexe, on en comptait même qui n’avaient pas de sexe. Pour les principaux, aucune des satisfactions extérieures de l’orgueil ne manquait : ils avaient des palais, des villas, des œuvres d’art; ils donnaient des festins somptueux et des fêtes; ils avaient une suite, ils avaient une cour formée par l’empressement spontané de tout ce que Rome avait de plus noble. L’empereur était inabordable, comme un captif entouré par mille gardiens qui se succèdent et ne s’endorment jamais. Les citoyens se rejetaient sur les gardiens qui possédaient ce précieux otage, et qui, semblables aux nuages qui interceptent le soleil, étaient les seuls dispensateurs de la pluie; mais du moins quelle belle curée! quel pillage admirablement organisé ! quelle dilapidation grandiose de l’administration, des droits des citoyens, de l’honneur et de la richesse publiques! Tout se vendait, les charges, les gouvernemens, les grâces, la justice; tout se rachetait, les violences, le vol et les crimes; le droit de cité se donnait pour un collier de verre, disait le proverbe du temps. Les décrets impériaux étaient violés, aussi bien que les lois, à prix d’or. Claude signait, sans s’en apercevoir, l’ordre le plus contraire