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s’être partagé les caractères extérieurs du père et de la mère. Ainsi prit naissance une famille hybride dont les membres, livrés à eux-mêmes, se reproduisirent pendant un certain nombre de générations. Examinée en 1780 par l’abbé Carlo Amoretti, naturaliste d’un certain mérite, elle montra une grande variété de teintes et de mœurs. On y voyait des individus blancs, d’autres noirs, d’autres tachetés. Les femelles blanches creusaient des terriers pour mettre bas à la manière des lapins, les autres laissaient leurs petits à la surface du sol, comme font les lièvres. Ces renseignemens permettent de reconnaître que chez les léporides de l’abbé Cagliari la variation désordonnée s’était produite comme chez les végétaux étudiés par M. Naudin, comme chez les hybrides de papillons obtenus par M. Guérin-Méneville.

M. Broca cite trois autres observations qu’il reconnaît être ou douteuses ou trop peu complètes pour mériter une attention sérieuse. Il s’arrête avec raison aux expériences de M. Roux, président de la Société d’agriculture de la Charente. Il s’agit ici en effet d’une hybridation élevée à l’état de pratique industrielle et comparable à ce point de vue au croisement de la chèvre et du mouton. Dès 1850, paraît-il, M. Roux avait été amené par ses propres expériences à croiser le lièvre et le lapin précisément dans la proportion que nous avons vue être la plus favorable à la production des chabins. Ses léporides avaient trois huitièmes de sang de lapin, cinq huitièmes de sang de lièvre. Dans ces conditions, d’après les détails donnés sur place à M. Broca, ils se propageaient régulièrement. Les portées étaient de cinq à huit petits, qui s’élevaient sans difficulté, et acquéraient à la fois un poids plus considérable que celui de leurs ancêtres lièvres ou lapins, une chair qui, quoique blanche comme celle de ces derniers, était bien plus agréable au goût, une fourrure supérieure en qualité à celle du lièvre lui-même. Ces avantages réunis donnaient aux léporides de M. Roux sur le marché d’Angoulême une valeur double de celle des plus beaux lapins domestiques. Enfin l’avenir de cette industrie paraissait assuré, car en 1859, époque du voyage de M. Broca, dix générations de léporides s’étaient déjà succédées sans manifester, au dire du producteur, la moindre tendance à retourner soit à l’une, soit à l’autre espèce.

Ces faits semblaient bien établis, et on comprend qu’ils aient motivé quelques assertions fort exagérées sans doute, mais qui du moins paraissaient reposer sur des données précises. Cependant dès 1860, Isidore Geoffroy déclarait que les léporides « retournent assez promptement au type lapin, si de nouveaux accouplemens