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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/438

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désaccord là seulement où ces données manquent ; voilà en résumé ce que constate l’ouvrage même de Darwin, ouvrage qui est sans contredit l’effort le plus sérieux qui ait été fait jusqu’à ce jour pour abaisser les barrières qui séparent la race de l’espèce. Nous retrouvons donc encore ici l’appel à l’inconnu employé pour combattre les analogies empruntées à une foule de faits positifs. À lui seul, ce contraste me semble fait pour confirmer les convictions de ceux qui croient à la distinction fondamentale de l’espèce et de la race, qui voient dans la différence des phénomènes de l’hybridation et du métissage un moyen de distinguer ces deux choses. Est-ce à dire que ce critérium efface toutes les difficultés ? Non, certes. Avec M. Decaisne, je n’hésite point à reconnaître que, lorsqu’il s’agira de ramener un nombre indéterminé de formes différentes à un seul et premier type spécifique, « il y aura toujours des cas douteux, même après l’épreuve du croisement fertile dans toute la série des générations possibles[1] ; » des cas inverses se présenteront sans doute aussi. Est-ce une raison pour repousser la règle générale qui ressort d’une écrasante majorité de faits indiscutables ? À ce compte, je ne sais trop quel principe pourrait être conservé dans n’importe quelle science. L’attraction elle-même n’a pas résolu toutes les difficultés de la mécanique sidérale, si simple pourtant dans ses immuables lois. A-t-elle été mise en doute pour cela ? Vouloir être plus exigeant quand il s’agit des phénomènes si complexes du monde organisé serait méconnaître la nature des choses. Il ne faut pourtant pas exagérer la portée de ces difficultés et y voir un motif pour confondre ce qui est en réalité très distinct. Les lacunes de notre savoir actuel ne sauraient autoriser l’adoption d’hypothèses en contradiction avec les faits acquis. J’ai cherché à montrer l’ensemble de ceux que la science a enregistrés. Je ne crois pas possible d’aller chercher ailleurs les bases d’une discussion sérieuse, qu’il s’agisse du présent ou du passé. Pas plus dans le monde organisé que dans le monde inorganique, les lois générales n’ont pu changer depuis les temps paléontologiques, quelque lointains qu’ils soient par rapport à nous et à notre courte existence. En réalité, ces époques, même en leur accordant toute la durée que leur attribue Darwin, sont à peine des jours dans les années de l’univers.


A. de Quatrefages.
  1. De la Variabilité dans l’espèce du poirier.