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plus rapides, ici sondant le sol avec leur large pied pour s’assurer que leur masse y trouvera un appui solide, là écartant ou arrachant avec leur trompe les broussailles qui feraient obstacle à leur marche. Leur puissance et leur imposante stature n’ont d’égales que leur intelligence et leur docilité ; un Indien, parfois un enfant, suffit à les conduire, et jamais maître ne connut de serviteur plus obéissant et plus dévoué. Entre l’éléphant et son cornac, il s’établit par l’habitude d’une éducation et d’une vie journalière communes une sorte de concert de pensées, et, si ce dernier vient à manquer ou à périr, il n’est pas rare que l’éléphant se refuse à toute espèce de service.

On sait comment se fait le chargement des caravanes de chameaux. Pour l’éléphant, la cérémonie se passe à peu près de même ; seulement, la construction massive de ses membres ne lui permettant pas de les replier sous son corps, c’est par un double écart en avant et en arrière qu’il parvient à s’accroupir pour recevoir son fardeau.

La présence de ces colossales bêtes de somme dans l’armée anglaise causait chaque jour de nouveaux étonnemens parmi les Abyssins. Ceux-ci ne connaissaient que les éléphans sauvages, qui abondent dans les régions chaudes du littoral ou dans les vallées basses de l’intérieur, et ne pouvaient concevoir qu’on eût dompté la nature farouche de ces redoutables animaux jusqu’à en faire de si dociles auxiliaires. Est-il vrai d’ailleurs que l’éléphant d’Afrique, d’un caractère plus irascible que son congénère d’Asie, ait toujours résisté aux tentatives de domestication ? La première fois qu’il nous fut donné de voir une troupe d’éléphans en marche, ce fut dans un des sites de montagnes les plus tourmentés de l’Abyssinie. Le camp, prévenu de l’arrivée du convoi, s’était porté en masse au pied des hauteurs qui dominaient la vallée où se trouvait notre bivouac. La route suivait pendant quelque temps la crête de la montagne et descendait par une pente rapide au milieu de rochers qui en certains points en dérobaient les contours. Le jour commençait à baisser lorsque parurent, à 500 pieds au-dessus de nos têtes, des masses confuses dont le mouvement était à peine sensible ; peu à peu on les vit s’engager sur la pente, puis se rapprocher, disparaissant de temps en temps pour reparaître bientôt, et la colonne, arrivée dans la plaine, défila enfin majestueusement au milieu d’une double haie de soldats anglais, et s’arrêta au bivouac qui lui était préparé. Les clartés douteuses du crépuscule donnaient à ce spectacle quelque chose de fantastique.

Vers la fin de mars, la plupart des détachemens avaient atteint le plateau de Wadela, les derniers ayant dû franchir à marches forcées la région montueuse qui s’étend depuis Antalo jusqu’au