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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/89

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à rendre compte. Tous deux ne voient en elle que le résultat de la filiation, de la transmutation lente des espèces. Voilà donc deux phénomènes nettement définis invoqués à titre de causes. Il est clair qu’il faut en démontrer l’existence avant d’en indiquer le mode d’action. Or peut-on considérer comme démontrant cette existence les faits qui inspiraient à Leibniz son célèbre aphorisme, ou des faits analogues qui ne sont au fond que la répétition des premiers, et qu’on présentait tout à l’heure comme étant la conséquence de ces mêmes phénomènes qu’il s’agit de mettre en évidence ? Assurément non. En vertu des théories les plus différentes et à la seule condition d’admettre la loi de continuité, on a pu prévoir, on peut prévoir encore la découverte de nombreux types intermédiaires. En dehors de toute théorie et au nom de l’analogie seule, on peut prédire que la science ne s’arrêtera pas où elle en est de nos jours. À la surface des terres qu’elle n’a pas encore explorées, dans les couches fossilifères qu’elle n’a pas encore remuées, elle trouvera certainement bien des termes à intercaler dans nos séries organiques ; elle n’aura pas pour cela dévoilé la cause qui leur donna naissance et régla leurs rapports. Constater la fréquence d’un fait que l’on avait cru rare ou exceptionnel, ce n’est pas l’expliquer.

En définitive, lorsqu’on découvre un nouvel être vivant ou fossile et qu’on veut le classer d’après les rapports naturels indiqués par ses caractères propres, il faut bien le placer parmi les êtres déjà connus. Par cela seul, on comble une lacune et on resserre le réseau. Pour qui n’envisage qu’un petit nombre de rapports et dispose les êtres en une seule série, comme Blainville, ce nouveau-venu se trouvera inévitablement entre deux autres qui seront ainsi plus intimement reliés ; pour qui tient compte des dix et vingt rayons dont parle Cuvier[1], il pourra arriver que ce fossile serve de lien entre des séries multiples, parallèles comme celles d’Isidore Geoffroy, ou ramifiées comme celles de Darwin, de M. Gaudry. Quelle que soit la cause à laquelle on rapporte l’existence des êtres organisés dans le passé et dans le présent, ces résultats seront identiquement les mêmes. Ils ne pourraient être en désaccord qu’avec une doctrine admettant que les êtres à découvrir ne sont en rien comparables aux êtres connus. Ils concordent avec toutes les autres, et par conséquent ils ne peuvent être regardés comme témoignant en faveur d’aucune d’elles en particulier.

M. Gaudry en a jugé autrement. Partisan déclaré des doctrines darwiniennes, il a cherché, en groupant les résultats les plus sûrs obtenus par ses devanciers, en leur joignant ses nombreuses obser-

  1. Histoire naturelle des poissons, par G. Cuvier et A. Valenciennes ; introduction.