Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/956

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obstacles et les déceptions, c’est lui. Richard Wagner est une de ces natures passionnées, impérieuses, absolues, qui portent dans l’énergie de leurs instincts la fatalité de leur développement. Sa voie frayée, il a marché jusqu’au bout sans broncher un instant avec une conviction inébranlable et une foi toujours grandissante. De là l’intérêt dramatique qui s’attache à cette vie d’artiste militant, de là aussi dans ses œuvres un enchaînement étroit, une progression saisissante qu’on chercherait vainement chez d’autres maîtres contemporains.

Richard Wagner est né à Leipzig en 1813. Son adolescence tombe donc dans la période tourmentée de 1830. À cette époque, toutes les jeunes têtes fermentaient sous l’influence de mille idées qui flottaient dans l’air. Grande agitation dans la littérature, grande effervescence dans les arts ; peintres, poètes, musiciens, tous veulent innover, revenir aux sources, créer à nouveau. En France, il y avait deux camps, les classiques et les romantiques ; en Allemagne, on en comptait dix, vingt, cent, autant d’écoles que de talens, mais plus un seul de ces esprits qui impriment leur cachet à une époque en la dominant, car Goethe avait quatre-vingts ans, et, comme dit Mme de Staël, le temps l’avait rendu spectateur. Sur le théâtre, la décadence est visible, et le public a plus de goût pour les mélodrames de l’école de Kotzebue et d’Iffland que pour les chefs-d’œuvre de Schiller et de Goethe. En musique, les goûts sont très divers ; mais avant tout on a soif de nouveautés. Les symphonies classiques, le grand opéra italien, l’opéra-comique français, enflamment à tour de rôle les imaginations. Beethoven fait fureur à côté de Bellini, Weber à côté d’Auber. On devine quelles sensations tumultueuses durent envahir l’âme d’un enfant impressionnable né au beau milieu de ce tourbillon. Il grandit dans cette atmosphère brûlante, et la fièvre du siècle entra dans ses veines. Tous les courans d’idées agirent sur lui ; mais, chose remarquable, aucun ne l’en traîna. A l’âge de six mois, il perdit son père, et, sa mère le laissant très libre, il fut livré de bonne heure à lui-même. L’enfant, indisciplinable, volontaire et fantasque, ne subit aucun joug. A l’école, il ne travaillait que lorsqu’une chose l’enthousiasmait, alors avec quel entrain ! Quant à son répétiteur de piano, il l’envoya promener, lui déclarant qu’il voulait apprendre la musique à sa manière. Les représentations théâtrales de Dresde le laissèrent assez froid ; il n’y trouva, dit-il, que des comédiens fardés, non des hommes. Par contre, les tragédies d’Eschyle et de Sophocle, qu’il traduisait à son gymnase, l’émurent profondément. Cette image du théâtre antique avec ses héros et ses demi-dieux, avec ses chœurs d’une majesté religieuse, son vaste amphithéâtre et tout un peuple attentif, se grava dans sa mémoire et ne le quitta plus. Dès lors, sa vocation pour le