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scène. C’est l’exacte représentation de ces lumières dont il est parlé dans les paraboles de l’Écriture, flambeau de la ménagère vigilante, lampe des vierges sages, lanterne sourde du divin veilleur de nuit qui viendra frapper à l’improviste comme un voleur. C’est la réalisation littérale du divin verset : « vous êtes la lumière du monde, et on allume une lampe pour la placer non sous le boisseau, mais sur un chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. » Le rayon de Rembrandt n’est pas seulement une des plus merveilleuses inventions de l’art, il est une conception religieuse de la valeur la plus certaine.

C’est ce que le protestantisme a créé de plus grand dans l’art, et c’est en même temps l’expression la plus profonde qu’il ait donnée de son esprit. Le spectacle que créa le protestantisme, le Christ sortant du temple, échappant aux mains des docteurs, reprenant la vie des grandes routes, entrant dans les chétives hôtelleries, dans les humbles fermes, est aussi celui que nous présente Rembrandt. Rembrandt est le plus démocratique de tous les grands artistes en dépit de son amour pour les fanfreluches pittoresques, les oripeaux brillans, les bonnets de fourrures et les panaches dont il coiffe ses personnages, les colliers et les perles qu’il se plaît à montrer sortant de quelque humble bahut, spectacle curieux, assez analogue d’ailleurs à celui que présenta la Hollande de son temps, entassant et cachant avec un soin jaloux les plus précieuses richesses au sein d’une vie d’épargne avare. Ici encore, dans cet amour exagéré des choses brillantes, Rembrandt fut instinctivement un fidèle interprète de la Hollande de son temps, car un grand homme se trouve toujours, même par ses défauts et ses vices, plus près de l’âme de son pays qu’un homme ordinaire par ses mérites et ses vertus. Revenons à ses scènes religieuses. Son Christ est essentiellement le Christ d’un évangile démocratique, qui s’est conformé en toute humilité au mandat qu’il a reçu. Il s’est fait homme bien réellement, il porte tous les stigmates de notre pauvre condition. Sans beauté aristocratique et païenne, ce n’est pas là un Dieu qui servira jamais à ressusciter le culte des idoles. Sunt idola antiquorum, disait un jour en détournant dédaigneusement la tête pendant qu’on lui montrait des statues antiques le pieux pape Adrien d’Otrecht, compatriote de Rembrandt, qui, en dépit de son orthodoxie, eut par le fait de son origine septentrionale et de ses instincts de race quelques-uns des sentimens du protestantisme. Les christs de Rembrandt n’auraient jamais effarouché l’austérité du pieux Adrien. La chair ne leur est de rien, la grâce des lignes leur est inconnue, leur laideur physique est irréprochable ; c’est bien là le simple Fils de l’homme. Cependant une lumière morale, qui