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se dérober, assez hardi pour aborder les difficultés de front, se fait tireur, et dans cette tourbe devient une sorte d’artiste, de prestidigitateur élégant, qui méprise la violence et estime que la dextérité suffit. C’est dans les foules, à la sortie des théâtres, aux expositions, aux bureaux des omnibus, dans les gares de chemins de fer qu’on le rencontre ; ses mains agiles et déliées entrent dans les poches et en tirent les porte-monnaie, les montres, les portefeuilles. On ne sent même pas un frôlement. On prétend que le requin est toujours précédé par de petits poissons qui lui tracent sa route et lui indiquent sa proie. Il en est de même d’un bon tireur ; il est toujours escorté par quatre ou cinq moucherons (gamins) qui, d’un geste ou d’un mot, lui désignent les personnes sur lesquelles il peut exercer son adresse. Quelques-uns de ces voleurs sont tellement habiles qu’ils font la tire à la chicane, c’est-à-dire, en tournant le dos à l’individu qu’ils dépouillent. L’un d’eux, Mimi Lepreuil, a laissé à la préfecture de police le souvenir d’un homme incomparable ; on l’avait surnommé « la main d’or. « Il était connu, surveillé spécialement, et jamais on ne parvint à le prendre sur le fait. Il s’était retiré des affaires et jouissait d’une quinzaine de mille livres de rente provenant de ses innombrables vols ; mais je doute que la fortune lui ait été fidèle, et, si je ne suis abusé par une similitude de nom, je crois que, tombé dans la misère sur ses vieux jours, il devint dénonciateur. Ce Mimi Lepreuil est le héros d’une anecdote qui prouve son impudence. Le jour où M. Rodde se fit crieur public sur la place de la Bourse, la foule conviée à ce spectacle était immense. Un agent de police en surveillance politique reconnaît Mimi Lepreuil et veut le faire partir. Le voleur refuse de s’éloigner sous le prétexte assez plausible que le pavé appartient à tout le monde ; l’agent insiste avec quelque brutalité de langage, et Mimi Lepreuil impatienté lui répond : Laissez-moi donc tranquille avec vos républicains ; j’ai fouillé plus de cinq cents poches, et je n’y ai pas trouvé un sou[1].

Le vol à la détourne et le vol à l’étalage se font l’un dans l’intérieur des magasins et l’autre à l’extérieur, ainsi que le nom l’indique. Le premier est exercé surtout par les femmes, et, pour bien l’exécuter, il est indispensable qu’elles soient deux. L’une occupe le marchand, se fait montrer les étoffes, les manie, les examine, discute le prix, ne peut se décider à faire un choix, et pendant ce temps l’autre fourre prestement sous son manteau, parfois dans d’énormes poches qui entourent sa jupe, les coupons sur lesquels elle a jeté son dévolu ; Ce genre de vol porte chaque année un

  1. Gisquet, Mémoires, t. IV, p. 392.