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Vendangeur de M. Becquet, le Printemps de M. Auguste Moreau, le Jeune Romain de M. Lemake, la Pietà de M. Sanson, doivent être loués avec restriction ; mais chacun de ces ouvrages a son mérite. Dans le groupe de M. Sanson, le Christ seul est vraiment bien ; la figure de M. Lemaire vaut surtout par les jambes ; celle de M. Bardey par les jambes et par le torse. M. Barthélémy pèche par le torse, mais la tête de son Ganymède est charmante ; c’est la tête qui n’est pas heureuse chez le vendangeur de M. Becquet ; tout le corps est d’ailleurs d’un modelé large et souple. Les enfans qui s’embrassent dans le groupe de M. Auguste Moreau sont d’une grâce et d’une naïveté adorables ; par malheur, la forme ne répond pas tout à fait au bien trouvé du mouvement.

En résumé la sculpture, qui est le plus pénible et le plus ingrat de tous les arts, se porte encore bravement parmi nous. Malgré la rareté des beaux modèles, que le théâtre enlève à l’atelier, malgré l’indifférence à peu près unanime du public, malgré la mesquinerie du grand client, l’état, qui paie douze mille francs une statue qui en a coûté huit mille à l’artiste, nous comptons dans Paris une centaine de vrais statuaires qui ont embrassé la sculpture par goût, qui l’ont apprise avec courage, et qui l’honorent par le plus désintéressé de tous les dévoûmens.


III

La Divine Tragédie de M. Chenavard est un événement, quoi qu’on dise. Le public qui vient folâtrer dans les salles d’une exposition peut dédaigner cette grande œuvre ou même en rire ; les artistes et les critiques l’étudieront avec respect. C’est l’erreur souvent heureuse d’un puissant esprit, d’un grand dessinateur et d’un peintre éminent ; j’estime qu’on battrait tous les buissons de l’Europe sans trouver un autre homme assez doué et assez savant pour se tromper de la sorte. L’artiste qui débute, ou peu s’en faut, par cette désagréable et superbe peinture est un homme de soixante ans sonnés ; depuis tantôt quarante ans » il jouit d’une réputation légitime et d’une incontestable autorité. Sa vie est simple, austère ; il habite les plus hautes régions de la philosophie, de l’histoire et de l’esthétique. La théorie ne paraît pas l’avoir détourné des études de métier ; il sait dessiner une figure et peindre un morceau comme les plus forts. C’est un savant pratique, un critique fécond, un oiseau rare. Il a dévoré Michel-Ange, Raphaël et Corrège ; s’il ne les a pas entièrement digérés, il s’en est assimilé quelque chose. On dit que M. Chenavard excelle dans l’exposé et la discussion des théories ; mais, il n’est pas de ceux qui se dépensent tout entiers en