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combinées d’une manière trop méthodique, où l’intention est toujours visible et la règle toujours apparente, nous laissent froids, parce que nous les comprenons trop vite. Cependant nous voulons dans toute œuvre d’art découvrir un plan, une liaison intime des diverses parties ; la jouissance qu’elle nous procure augmente à mesure que nous en pénétrons l’harmonie intérieure. Cela prouve que les lois existent, qu’elles se retrouvent dans les productions qui nous charment ; mais ni la création ni le sentiment du beau n’en exigent la connaissance approfondie : l’artiste leur obéit, et l’homme de goût les devine par intuition. L’analyse esthétique d’une composition musicale rencontre encore des obstacles sans nombre, les jugemens n’offrent ici rien de certain, rien d’absolu, parce que les raisons dernières, les mobiles psychiques du plaisir que nous éprouvons sont cachés dans les retraites inaccessibles de l’âme humaine. Nous ne pouvons voir clair que dans ce qui concerne la technique élémentaire, la construction des gammes et des accords, le développement historique du système musical. Ici la science proprement dite peut, sinon nous guider, du moins expliquer les effets obtenus et justifier les prescriptions que l’expérience a consacrées.

De nombreuses tentatives ont été faites depuis plus d’un siècle pour asseoir la théorie élémentaire de la musique sur une base mathématique. On ne compte plus les gammes qui ont été imaginées, les systèmes dont elles ont été les points de départ. Toutefois, jusque dans ces derniers temps, aucune de ces théories n’était encore sortie du cercle étroit des spéculations métaphysiques échafaudées sur des rapprochemens et des coïncidences qui, à vrai dire, ne pouvaient rien expliquer. On savait, depuis les temps de Pythagore, que les accords consonnans correspondent à des rapports de nombres entiers fort simples. Voilà donc un fait précis qui, bien interprété, devait conduire à la solution de l’énigme de l’harmonie ; mais on le tournait et le retournait, on ne découvrait pas pourquoi la succession ou la coexistence de deux sons qui se trouvent dans un rapport simple plaît à l’oreille. L’admirable ouvrage de M. Helmholtz dévoile enfin ce mystère. Résumant huit années de recherches théoriques et expérimentales, il expose clairement les causes véritables et suffisantes de la consonnance et de la dissonance des sons musicaux telles qu’elles nous sont révélées par une analyse exacte des sensations auditives, en dehors de toute préoccupation des principes esthétiques.

Ceux qui savent que l’illustre professeur d’Heidelberg compte parmi les maîtres aussi bien comme physiologiste que comme physicien et comme géomètre comprendront qu’il s’agit ici d’un livre qui n’a rien de commun avec les productions, toujours si vite oubliées, des faiseurs de systèmes. M. Helmholtz décrit des expériences de physique, il enregistre les résultats des mesures qu’il a faites, il entre dans le détail de ses recherches anatomiques ; il applique le calcul et les développemens de l’analyse aussi souvent qu’elle peut éclairer le sujet, et tout cela se