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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/1018

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lent les réformes, et c’est par ce mouvement vivifiant, réglé avec intelligence, qu’un pays marche sans tomber à chaque instant dans l’anarchie ou dans les périlleux conflits de tous les pouvoirs.

Ce que la politique libérale gagne depuis quelque temps, la politique de la paix le gagne-t-elle d’un autre côté, par une conséquence naturelle de ce réveil de l’esprit public? On le dit, nous le croyons. Évidemment toutes les réformes intérieures qui peuvent s’accomplir n’empêchent pas qu’il n’y ait en Europe et sur bien des points du monde une situation générale livrée à mille périls obscurs; elles ne font pas qu’il n’y ait des antagonismes toujours prêts à éclater, des ambitions, des malaises, des troubles, qui rendent la paix laborieuse. Il y a du moins cette chance que les caprices ne sont plus guère possibles, que l’opinion, plus attentive, surveille de près tout ce qui pourrait rallumer des conflits inutiles. C’est bien assez des questions qu’on ne peut éviter, des difficultés qui tiennent à l’enchevêtrement et à la logique des choses contemporaines. Ces difficultés n’ont point assurément disparu de la politique, elles ne dépendent même pas de la France seule, elles peuvent se produire sans qu’on le veuille et sans qu’on y songe. Il y avait longtemps en vérité que l’Orient n’avait fait parler de lui; il y avait bien six mois qu’on n’avait eu à s’occuper ni de la Turquie, ni de la Crète, ni de la Grèce, ni de la Roumanie. Six mois, c’était trop; un nouveau nuage s’est élevé, et cette fois c’est entre le sultan et le vice-roi d’Égypte, Ismaïl-Pacha, connu maintenant dans le monde sous le titre de khédive. La querelle n’est pas sans doute des plus graves et n’ira pas bien loin, parce qu’on ne la laissera pas s’envenimer. Elle ne révèle pas moins cet état perpétuel d’incertitude où se traîne l’Orient, elle est surtout l’indice de la difficulté qu’il y a toujours à faire vivre ensemble une suzeraineté ombrageuse et une vassalité assez puissante pour se soutenir par elle-même. Toute la question est là. Le sultan Abdul-Aziz, qui ne ressemble pas à son prédécesseur, qui prend son rôle au sérieux, veut rester maître de l’Égypte comme de toutes les autres parties de l’empire; le khédive, qui n’est qu’un demi-souverain, ne serait pas fâché d’être un souverain tout entier. Dans ces dernières années, il est vrai, le suzerain et le vassal vivaient en paix, parce qu’ils y trouvaient l’un et l’autre un égal avantage. Ismaïl-Pacha fournissait des soldats pour réprimer les insurrections; il était en faveur à Constantinople, il achetait le droit de changer la ligne d’hérédité dans sa famille et d’établir en Égypte la succession directe, comme en Europe; il a même acheté et largement payé ce titre de khédive dont il se pare aujourd’hui, qui le met hors de pair entre tous les vassaux de l’empire.

Jusque-là tout était bien. C’est l’inauguration prochaine du canal de Suez qui est venue tout gâter, à ce qu’il paraît. Le sultan, un peu enorgueilli peut-être de ses derniers succès dans les affaires de Crète, dans ses différends avec la Grèce, le sultan s’est offensé en voyant Ismaïl-Pacha parcourir récemment l’Europe, inviter les souverains à l’inaugu-