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Garachanine fut à la hauteur de toutes les situations. Il se fit remarquer par l’énergie de son caractère et la netteté de son esprit ; dans les luttes qui précédèrent la chute des Obrenovitch, il avait été au premier rang des opposans : aussi, dès 1844, devenait-il ministre de l’intérieur et en 1852 président du conseil des ministres. Dans cette position élevée, on le vit deviner tout ce qu’il n’avait pas appris ; ce fut sous son impulsion que des routes furent percées à travers les forêts serbes, et que l’instruction primaire commença de se répandre ; en même temps il donna l’exemple d’envoyer étudier en Occident les fils des familles aisées. En fait de politique étrangère, il adopta une ligne de conduite qui demandait beaucoup de tact et de fermeté : il lutta à la fois contre la Russie, qui voulait entraîner la Serbie dans les révoltes des Bulgares et des Bosniaques, et contre l’Autriche, qui prétendait humilier devant la Turquie le prince Alexandre. Sans illusions sur la malveillance de l’Angleterre, sur les hésitations et les ignorances de la politique française, il s’appuyait plus volontiers sur les puissances occidentales ; avec elles du moins, on ne risquait pas de payer trop cher les services rendus et de voir la protection se tourner en domination. Lorsque Kara-Georgevitch se fut compromis sans retour, M. Garachanine fut nommé par l’assemblée président du gouvernement provisoire chargé de transmettre le pouvoir à Milosch. Ainsi placé en dehors des questions dynastiques, estimé des Serbes et des étrangers pour son patriotisme et son désintéressement, nul ne pouvait apporter au prince un plus efficace concours et plus d’autorité morale.

Quant à M. Marinovitch, né en 1821 à Séraïewo, en Bosnie, employé à la chancellerie de Milosch, il était allé à Paris compléter son éducation aux frais du prince, puis il avait été directeur aux affaires étrangères, et en 1856 ministre des finances. Pendant son passage aux relations extérieures, il avait rempli en 1854 une mission politique confidentielle auprès des cabinets de Paris et de Londres, et contribué ainsi non-seulement à préserver la Serbie d’une occupation autrichienne, mais encore à faire reconnaître et consolider son autonomie par le traité de Paris. Ministre des finances, il avait fait élaborer un projet de code et créé à Belgrade un tribunal de commerce ; il avait amélioré la comptabilité financière et, par un ingénieux système d’amortissement, fourni aux nombreux débiteurs de l’état le moyen d’acquitter peu à peu des dettes déjà anciennes. De tous les hommes politiques de la Serbie, M. Marinovitch est peut-être celui qui, par l’incroyable facilité avec laquelle il parle nos langues et l’apparent abandon de sa conversation, fait le plus l’effet d’un Occidental.

Aussitôt après son avènement, le prince songea à reprendre une