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dit-il, de peindre une époque fertile en catastrophes, ensanglantée par les combats, déchirée par les séditions, cruelle même pendant la paix ; quatre souverains périssant par le glaive ; trois guerres civiles, et en même temps des guerres étrangères plus nombreuses, des succès en Orient, des défaites en Occident, l’Illyrie troublée, la Gaule chancelante, la Bretagne conquise et aussitôt perdue, les nations des Sarmates et des Suèves levées contre nous, les Daces s’illustrant par leurs revers et les nôtres, les Parthes prêts à s’armer pour un faux Néron ; en Italie, des désastres inouïs ou renouvelés après un intervalle de plusieurs siècles ; les villes du littoral si riche de la Campanie englouties ou écrasées ; Rome dévastée par les incendies, les temples les plus vénérables consumés, le Capitole lui-même brûlé par la main des citoyens ; les choses saintes profanées, l’adultère dans les plus grandes familles ; la mer couverte d’exilés, les îles souillées par le meurtre des bannis, des forfaits plus atroces dans l’enceinte de Rome, la noblesse, l’opulence, les honneurs obtenus ou refusés devenant autant de crimes, la vertu étant une cause certaine de mort ; le salaire des délateurs aussi exorbitant que leur scélératesse, les sacerdoces, les consulats, le gouvernement des provinces, les dignités de cour, le pouvoir, emportés par eux comme des dépouilles ; les esclaves armés contre leurs maîtres par la haine et la terreur, les affranchis contre leurs patrons ; enfin ceux même qui n’avaient pas d’ennemis accablés par leurs amis. »

Nous nous proposons, non de refaire une telle histoire, mais d’instruire le procès des aventuriers qui se sont arraché la pourpre les uns aux autres, et de tracer leur portrait. Chacun d’eux a profité du soulèvement d’une puissance différente. Galba représente le soulèvement des provinces, Othon celui des prétoriens, Vitellius celui des légions : tous les trois ont été broyés dans le choc de ces masses aveugles, qui croyaient se personnifier dans un chef et qui étaient poussées vers Rome par une attraction irrésistible.


I

Caligula, les affranchis de Claude, Néron, avaient épuisé les richesses et la patience des provinces ; mais ils avaient surtout énervé Rome en usant tous les ressorts d’une trop vaste centralisation. Les provinces sentaient l’affaiblissement de la capitale, elles s’indignaient de sa soumission, elles la voyaient abdiquer ; elles-mêmes voulaient se produire sur la scène, délivrer le monde d’un despote insensé, prouver leur énergie en disposant à leur tour de l’empire. La Gaule eut l’honneur de porter les premiers coups. Les Gaulois étaient déjà des gens d’initiative, prompts à la parole, plus prompts