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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/338

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à saisir l’épée, impatiens, généreux et dupes, amoureux des nouveautés, destinés à faire des révolutions dont ils ne profitent pas, à défendre l’indépendance des autres tout en restant asservis et à donner une liberté qu’ils ne gardent pas pour eux-mêmes. C’était le surnom de libérateur (Vindex) qu’avait pris Caius Julius, descendant d’une famille souveraine du midi de la Gaule, procurateur impérial, qui mit sur pied cent mille combattans, leur faisant jurer de ne rien prétendre pour eux-mêmes. Il rédigea de belles proclamations, qui suffirent pour que Néron se laissât tomber du trône, souleva l’Espagne, fraya le chemin à Galba, attira sur son pays les légions du Rhin et les Espagnols affamés, se tua de sa propre main ; mais il avait eu la gloire de faire un empereur ! La Gaule, qui avait servi de piédestal à Jules César, offrait à l’univers une compensation en renversant le dernier membre de la famille de César ; toutefois elle ne détruisait point le césarisme ; elle s’attribuait même la mission de le faire refleurir.

Galba, que le message de Vindex avait compromis bien plus que tenté, avait traversé, à force de précautions, quatre règnes qui décimèrent l’aristocratie. Petit-fils d’un préteur qui avait écrit l’histoire sans talent, fils d’un consul qui était petit, peu éloquent et bossu, il tenait une fortune considérable de sa mère, Livia Ocellina. Il appartenait à la famille Sulpicia, qui avait joué un rôle secondaire dans l’histoire, mais qui y avait toujours joué un rôle et était devenue illustre par son étendue et sa perpétuité. Il était parent par sa mère de l’impératrice Livie, qu’il courtisa assidûment et qui lui légua plusieurs millions. Tibère contesta le testament, ou plutôt ne l’exécuta jamais, et Galba fut récompensé de son silence par la préture. Caligula lui donna un commandement sur le Rhin, Claude le proconsulat d’Afrique, Néron, après sept ans passés dans la retraite, le gouvernement de la Tarragonaise. Partout il s’était montré magistrat intègre, administrateur exact, général sévère. Ses richesses, accrues par la parcimonie et par les proscriptions qui avaient moissonné ses proches, lui rendaient la vertu plus facile, mais l’exposaient à un danger croissant. Aussi pendant les huit dernières années de Néron n’eut-il qu’un soin, ce fut de faire le mort en Espagne. La vieillesse du reste, en lui faisant sentir son poids, le condamnait peu à peu à l’inaction. Il atteignit ainsi l’âge de soixante-treize ans.

La lettre de Vindex l’aurait donc à peine ému, si d’autres lettres arrivées de Rome ne l’avaient averti que Néron, convoitant ses richesses, avait expédié des soldats pour le tuer. Ses amis le pressèrent de choisir, entre deux périls, le plus éloigné : fidèle, il était sûr de périr ; l’ambition était son seul salut. Il se prononça, accepta le titre d’imperator, organisa autour de lui une apparence de