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gouvernement, fit appel aux armes, laissa se soulever l’Espagne et les Lusitaniens, que gouvernait Othon, et déclara qu’il serait le lieutenant du sénat et du peuple romain. Le vieillard qu’entraînaient ainsi les provinces avait auprès de lui une seule légion et deux escadrons de cavalerie : ce n’est pas avec de telles forces qu’on marche à la conquête de Rome et de l’univers. Aussi, lorsque Galba sut la mort de Vindex et la dispersion de son armée, fut-il sur le point de s’arracher la vie ; mais aussitôt il apprit que Néron s’était frappé lui-même, et que l’Italie affranchie l’appelait de tous ses vœux. Plein de confiance, il prit le nom de césar et se mit en marche.

Le nom de césar, qui a aujourd’hui un sens général et dont l’humanité a fait en quelque sorte un nom commun, était dans ce temps-là un nom propre : il n’avait appartenu qu’à la famille des Jules et à ses héritiers soit par le sang, soit par l’adoption. Galba, en prenant ce titre, renouait violemment la tradition, et déclarait au monde qu’il voulait continuer la politique, c’est-à-dire la tyrannie des césars. C’était une faute qui allait porter des fruits immédiats : d’abord elle le force de partir pour Rome, non point en libérateur devant lequel s’ouvrent les portes des villes et les bras des populations, mais en despote qui revêt le costume militaire, assiège les cités, rançonne les peuples, fait assassiner les magistrats qui hésitent à le proclamer. Galba quitte la toge pour la cuirasse et porte suspendu à son cou le poignard, signe du droit de vie et de mort qu’il usurpe. Ensuite cette faute a pour contre-coup l’usurpation d’autres chefs d’armée que l’exemple de Galba justifie. Eux aussi veulent être proclamés empereurs, eux aussi veulent prendre le nom de césar. Nymphidius Sabinus, préfet des prétoriens, Fonteius Capito, qui commandait en Germanie, Clodius Macer, qui gouvernait l’Afrique, n’avaient pas plus que Sulpicius Galba le droit d’attenter à la liberté de Rome, débarrassée de Néron ; ils étaient aussi tentés par l’occasion, parce qu’ils sentaient entre leurs mains la force. Les provinces l’emportaient cette fois sur les armées : les cohortes prétoriennes et les légions n’étaient point préparées à se déchaîner, elles laissèrent succomber Sabinus, Capito et Macer. L’ère des révoltes et de l’anarchie militaire n’en était pas moins ouverte par Galba. Le secret de l’empire était dévoilé ; on savait désormais qu’on pouvait faire des empereurs ailleurs qu’à Rome, et que les frontières insurgées pouvaient envoyer des maîtres à l’univers plus sûrement que les votes du sénat. Le césarisme, tombé dans la personne de Néron, allait renaître et se répandre dans toutes les parties de l’empire, de même qu’un cancer opéré sur un membre renaît sur d’autres, étend ses racines et empoisonne le corps tout entier.