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de la monarchie était là et n’était que là ; mais quoi ! la transaction n’avait pour elle que la nécessité des choses raisonnables. La nécessité des passions était plus forte. On voyait l’abîme et on s’y laissait entraîner. Que de belles et patriotiques paroles prononcées au bord de cet abîme, afin de n’y pas tomber ! « Oui, disait-un député royaliste, M. de Leyval, oui, il y avait deux peuples dans un seul peuple ; mais ils se sont donné le signe de paix, et il appartient au roi de combler l’abîme qui les a si longtemps séparés. Où donc est cette révolution dont on parle tant ? La charte a tué le monstre (vives acclamations), et ce n’est qu’en tuant la charte qu’on peut le faire revivre… Que dirai-je enfin ? Le royalisme est devenu libéral et le libéralisme est devenu monarchique. (Applaudissemens.)[1]. » En applaudissant M. de Leyval, on applaudissait à ce qu’on espérait plutôt qu’à ce qu’on voyait, à l’avenir plutôt qu’au présent. Le ministère était fondé en effet sur l’espoir que le royalisme pouvait devenir libéral, et que le libéralisme pouvait devenir monarchique. Bel Eldorado, qui était possible, mais possible comme l’est la raison ici-bas, possible pour l’élite et par l’élite. Ce qui faisait la faiblesse du ministère Martignac ou de la transaction essayée en 1827 et 1828, c’est que ce ministère était de deux côtés un Ultimatum ; du côté de Charles X, c’était le maximum des concessions populaires qu’il voulait accorder, et du côté du parti libéral le maximum aussi des concessions qu’il pouvait faire aux idées et aux sentimens de l’ancien régime. Hors de lui, il n’y avait plus de rapprochement possible, et avec lui ce rapprochement avait chaque jour ses difficultés et ses périls. C’était le rapprochement de deux armées d’observation.

Si je ne me trompe, plus je prouve l’impossibilité de la transaction à cause des passions, plus j’en prouve la sagesse pacificatrice et la nécessité morale. Elle ne nuisait à aucun des droits et des intérêts véritables du pays et de la dynastie ; mais elle ne plaisait à personne de ceux qu’elle rapprochait, elle ne plaisait même pas aux ministres qui y travaillaient entre le marteau et l’enclume. Dans les derniers mois du ministère Martignac, au commencement de 1829, il y avait dans les esprits, du côté de la cour comme du côté de l’opposition, cette impatience qui fait qu’on aime souvent mieux le mal que le danger. Mieux vaut, disaient les zélés du château, mieux vaut un coup d’état avec ses périls qu’une royauté précaire et marchandée. La transaction prudente et habile qui était le principe du ministère de M. de Martignac ne représentait donc plus aux uns et aux autres que l’incertitude avec tout ce qu’elle apporte

  1. Histoire du Gouvernement parlementaire, par M. Duvergier de Hauranne, t. IX, p. 413.