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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/444

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et le vote plus unanime aurait offert à la république une base plus solide. Les exaltés étaient précisément ceux qui se défiaient le plus de leurs principes : ils se plaignaient d’une précipitation qui ne leur laissait pas le temps d’éclairer le peuple, et ils criaient à la trahison. On consentit, pour les apaiser, à reculer l’élection jusqu’au 21 avril. Ce retard ne porta profit qu’aux anciens conservateurs. Toutefois la réaction ne se glissa dans l’assemblée qu’en prodiguant les manifestations républicaines, et le vœu général du pays se montra favorable à l’expérience qu’on allait faire. On avait inscrit d’office 9,395,035 électeurs : dans aucun siècle, et dans aucun pays du monde, la volonté nationale n’avait été consultée d’une manière aussi solennelle. Il y eut 7,893,327 votes exprimés : cette proportion de 84 votans sur 100 inscrits est la plus large qu’on ait constatée chez nous depuis 1848. L’expérience fut satisfaisante, même aux yeux des plus timorés. Quand le temps sera venu de faire une histoire complète et impartiale de cette époque, on dira que la première émanation du vote universel a donné une assemblée heureusement tempérée par un mélange d’anciennes illustrations parlementaires et d’hommes nouveaux d’un mérite solide, assemblée éclairée, très laborieuse, patriotique malgré ses dissidences, une des meilleures en définitive que la France eût possédées.

Le décret sur les élections devait être éphémère, comme le pouvoir qui l’avait édicté. Il fut convenu qu’on rentrerait plus tard dans la légalité en posant le principe dans la constitution et en réglementant la pratique par une loi spéciale. Lorsqu’on en vint à la discussion de l’acte constitutionnel, on avait passé par de tristes épreuves, les dissentimens s’étaient accentués. Les intérêts conservateurs, groupés à l’état de parti, inclinaient vers la réaction. La majorité, sincèrement républicaine, était en défiance. De part et d’autre, on avait compris que, sur le terrain du suffrage universel, le procédé du scrutin a plus d’importance que le principe même.

Les rédacteurs du projet de la constitution républicaine étaient donc préoccupés de soustraire l’électeur faible et ignorant aux influences de clocher ; ils croyaient avec raison qu’un certain groupement est indispensable pour la sincérité du suffrage, et ils avaient conservé dans leur projet le vote au chef-lieu du canton. Une sorte de bataille parlementaire s’engagea sur ce point. Une motion proposant le vote à la commune n’ayant réuni que le tiers des voix, un second amendement introduit par M. Baze demanda que les conseils-généraux eussent le droit de subdiviser les collèges cantonaux en plusieurs groupes, lorsque la nécessité de ce fractionnement aurait été établie par une délibération formelle. Cette tentative fut encore repoussée par une majorité moins nombreuse et moins résolue. Comme les vieilles troupes qui se reforment instinctivement