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dans une déroute et reviennent d’elles-mêmes à la charge, la réaction produisit aussitôt une troisième combinaison, qui ajournait la question de principe jusqu’à la discussion de la loi organique, et laissait provisoirement aux préfets la faculté de diviser les collèges trop nombreux. Les républicains autoritaires, satisfaits de voir l’omnipotence du préfet substituée à l’influence quelque peu aristocratique des conseils-généraux, joignirent cette fois leurs voix à celles des anciens conservateurs.

Ce n’était qu’une trêve. La bataille recommença sur le même terrain, quelques mois plus tard, à propos de la loi organique. Si l’on veut bien saisir l’importance qu’on attachait de part et d’autre à cette solution, il faut se rappeler que, sur 37,548 communes françaises, il y en a 28,000 qui ne renferment pas 1,000 habitans, et que dans la moitié de cette catégorie le nombre des électeurs ne s’élève pas à 100 en moyenne ; on ajoutait que dans la plupart de ces localités, où la lumière pénètre si difficilement, il serait souvent impossible de composer des bureaux réunissant les conditions nécessaires d’impartialité, et que le paysan, circonvenu de longue date par le maire, le juge de paix, le curé, le gendarme, l’ancien seigneur, le riche fermier, le chef d’industrie, votant sous les yeux menaçans de ceux dont dépendent son pain et son repos, ne serait pas maître de son choix. M. de Montalembert se jeta dans la mêlée avec une ardeur et une subtilité d’éloquence qui firent éclat à cette époque : la thèse qu’il soutenait était encore au fond celle des introuvables de 1815. Tout ce qu’il put obtenir, ce fût la faculté de subdiviser les cantons trop vastes en quatre collèges, en vertu d’un arrêté du préfet et sur l’avis des conseils-généraux et cantonaux. Le scrutin de liste par département fut d’ailleurs maintenu comme correctif. Le cadre de la députation fut réduit dans la mesure d’un élu pour 50,000 âmes, ce qui allait abaisser à 750 le nombre des représentai. Pour tout le reste, l’esprit de la constitution républicaine fut respecté.

Mise à l’essai quelques mois plus tard, la loi électorale du 15 mars donna l’assemblée législative. Les deux tiers des inscrits seulement prirent part au vote. Le doute et la défiance avaient amoindri la clientèle républicaine. Au contraire, les conservateurs de toute nuance revenaient plus serrés, plus nombreux, autorisés enfin à croire qu’ils allaient dominer la situation, puisqu’ils pouvaient produire une majorité. Ils espéraient aussi qu’ils se feraient du pouvoir exécutif un instrument. Trop de confiance les aveugla. Leur idée fixe était de réagir contre le suffrage universel, de le neutraliser autant que possible. Si le comité directeur de la majorité avait eu la sagesse de produire une combinaison qui, en affirmant loyalement le principe du vote universel, aurait écarté